Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/560

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au coup d’État de Bonaparte une fois qu’il a été accompli, et participer ainsi à la vie d’un régime qui devait aboutir à la chute de la République ; elle n’a sûrement été pour rien ni dans l’éclosion de l’idée de la tentative — avant son départ pour l’Égypte, Bonaparte songeait déjà à prendre le pouvoir, il y songeait, et dans tous les partis on le savait, dès l’an V (voir début du chapitre xvii) — ni dans la tentative elle-même, qui aurait eu lieu de toute façon, Bonaparte étant parti d’Égypte pour cela (Thibaudeau, Le Consulat et l’Empire, t. 1er, p. 10) — au moment où il la quittait, « le général Menou était le dernier auquel Napoléon eût parlé sur le rivage, et l’on a su plus tard qu’il lui avait dit : « Mon cher, tenez-vous bien, vous autres ici ; si j’ai le bonheur de mettre le pied en France, le règne du bavardage est fini » (Mémorial de Sainte-Hélène, 29 août 1816) ; à un autre, avant de partir, il avait tenu le même langage : « J’arriverai à Paris, je chasserai ce tas d’avocats qui se moquent de nous et qui sont incapables de gouverner la République ; je me mettrai à la tête du gouvernement » (général Bertrand, Campagnes d’Égypte et de Syrie, t. II, p. 171-172), — ni dans le concours de circonstances auquel, nous le verrons (chap. xxii), a été due la réussite.

Au moment où Bach prononçait son discours, les Jacobins jouissaient d’une influence incontestable. Ainsi, le 2 thermidor (20 juillet), ils demandèrent que les mots : « haine à l’anarchie » qui les visaient injustement dans la formule légale du serment civique (chap. xv et xvii § 2), fussent effacés ; les Cinq-Cents votèrent une résolution en ce sens le 8 thermidor (26 juillet), et les Anciens la ratifièrent le 12 (30 juillet) ; à l’ancienne formule fut substituée celle-ci : « Je jure fidélité à la République et à la Constitution de l’an III. Je jure de m’opposer de tout mon pouvoir au rétablissement de la royauté en France et à celui de toute espèce de tyrannie ». Cependant, cinq jours avant, le 7 thermidor (25 juillet), les inspecteurs de la salle ou, suivant l’expression actuelle, les questeurs du Conseil des Anciens les avaient invités à quitter leur local du Manège, et ils avaient refusé. Aussi le 8 (26 juillet), au nom des inspecteurs, Cornet proposait aux Anciens d’interdire la réunion de toute « société particulière s’occupant de questions politiques » dans l’enceinte qui leur était affectée ; cette proposition fut adoptée.

Aussitôt après, dans un discours ridicule. Courtois, le tripatouilleur des papiers de Robespierre et l’associé du banquier Fulchiron, dénonçant une prétendue conspiration des Jacobins, s’écria : « Les Hébert, les Ronsin, les Chaumette, les Robespierre viennent de renaître de leurs cendres. Le tribunal de Vendôme a tué Babeuf, mais Babeuf a laissé des héritiers. Le maître est mort ; ses exemples et ses plans respirent » ; et, à propos des idées émises sur la propriété, il ajouta : « ce n’est point posséder aujourd’hui que de craindre de ne plus posséder demain ». Savary répondit : « Je ne suis point initié dans les mystères d’iniquité qu’il a dévoilés. S’il eût dit : j’ai été témoin des faits, j’en ai des preuves, je dirais : il faut nous occuper de l’objet dont il nous a entre-