Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/563

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d’État. C’est par lettres du 13 et du 16 messidor (1er et 4 juillet) que Bruix fut averti à Cadix (chap. xix, § 2) que le Directoire n’insistait plus pour qu’il allât chercher Bonaparte en Égypte, comme l’avait décidé (chap. xix, fin du § 1er) la lettre du 7 prairial (20 mai), avant la rentrée à Paris de Sieyès élu directeur ; car, aux yeux de Sieyès, Bonaparte était avant tout le rival à écarter, et quand on en parlait devant lui pour effectuer le coup d’État, objet de ses désirs à la condition d’en être le bénéficiaire, il « répondait dédaigneusement : — Le remède serait pire que le mal » (de Barante, Idem, p. 495). D’où il résulte qu’au plus tard dans la première quinzaine de messidor (fin juin), intentions et plan de Sieyès étaient arrêtés, tandis que la société du Manège ne débuta qu’après. S’il avait vécu, Joubert se serait-il prêté au désir de Sieyès ? Gohier dans ses Mémoires (t. Ier, p. 53) raconte que ce général avant de partir pour l’Italie, lui dit : « à la manière dont votre collègue Sieyès s’est exprimé avec moi sur notre Constitution, à l’étrange langage qu’il m’a tenu, j’ai vu qu’il n’était pas fait pour entendre le mien ». Il remit à Gohier un « mémoire » que celui-ci publie (Idem, p. 364 et suiv.), et dans lequel Joubert semble avoir désiré conserver « les formes constitutionnelles » (id, p. 369). On y trouve sur le penchant des modérés vers la droite cette appréciation trop souvent exacte : « Des républicains qui croient l’être aujourd’hui, dans le moment d’une crise fatale, se trouveront, sans y penser, tout bonnement rangés parmi les royalistes, et ceux-là sont tous les modérés » (Idem, p. 369).

La mauvaise tactique des Jacobins ne fut donc pour rien dans l’idée des modérés de recourir à un coup d’État ; elle fut le prétexte, elle ne fut pas la cause de la nouvelle orientation à droite qui devait préparer celui-ci : une politique de réaction préalable est, en effet, la condition essentielle de réussite pour un coup d’État ; ce n’est qu’après avoir fortifié les réactionnaires aux dépens des vrais républicains, ce n’est qu’après leur avoir cédé les avenues du pouvoir, qu’un coup d’État peut le leur livrer tout entier. Telle est la règle sans exception de notre histoire, où la logique des faits a toujours démenti de la manière la plus catégorique les assertions intéressées des modérés rabâchant hors de tout propos la thèse contraire, afin d’essayer de détourner sur d’autres les soupçons qui ne sont justifiés que pour eux-mêmes. Un exemple réjouissant de cette petite rouerie des modérés est dû à M. Plichon. Tenant plus à manifester ses mauvaises intentions envers nous que sa connaissance raisonnée de l’histoire, il nous criait de son air le plus sérieux, au sujet — et ici la chose devient tout à fait comique — de la proposition de loi enlevant simplement aux fabriques le monopole des inhumations : « C’est vous qui préparez Brumaire en ce moment » (séance de la Chambre du 29 décembre 1903, Journal officiel du 30, p. 3439). Non, M. Plichon, non, on n’a jamais vu un coup d’État réussir durant les périodes de progrès républicains et d’infériorité, par conséquent, au point de vue de l’influence politique, des hommes de votre espèce ; c’est, au contraire, la condescendance plus ou moins