Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/572

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

exigeaient, pour empêcher la propagation de la peste, un séjour dans un lazaret. Parti, nous l’avons vu (chap. xix, fin du § 1er), le 6 fructidor an VII (23 août 1799), il était arrivé le 8 vendémiaire an VIII (30 septembre 1799) à Ajaccio où le mauvais temps le retint sept jours et il en était reparti le 15 vendémiaire (7 octobre). « Il fut question, dit-on, de faire arrêter Bonaparte pour avoir abandonné l’armée et surtout pour avoir violé les lois sanitaires » (Thibaudeau, Le Consulat et l’Empire, t. Ier, p. 5) ; mais, si on eut cette idée, on n’osa pas l’exécuter.

Bourrienne lui-même avoue que ce fut grâce à la non application des règlements sanitaires que Bonaparte put devenir chef du gouvernement avant l’arrivée des dénonciations envoyées d’Égypte contre lui. « C’était un chorus général de plaintes et d’accusations. Il faut en convenir, ces accusations et ces plaintes n’étaient, pour la plupart, que trop fondées » ; s’il avait été retenu par la quarantaine, ces lettres auraient été connues avant qu’il fût au pouvoir, « elles devenaient de puissantes armes contre Bonaparte. Sa mise en accusation devenait possible » (Mémoires, édition Lacroix, t. II, p. 119). En traversant la France, Bonaparte dont on venait d’apprendre le succès à Aboukir, dont on était précisément en train de lire les derniers rapports reçus, fut accueilli avec un enthousiasme à peu près général ; le 24 vendémiaire (16 octobre) il arrivait à Paris. Le jour même, il se rendait chez Gohier qui était, depuis le 1er vendémiaire (23 septembre), président du Directoire et qu’il connaissait particulièrement ; le lendemain, le Directoire le recevait. « Bonaparte, nous dit Bourrienne (Idem, t. II, p. 28) confirmant par là le récit de Gohier (Mémoires, t. Ier, p. 206-208), pensait déjà, dans ce moment, à se faire élire membre du Directoire » ; il y avait même pensé beaucoup plus tôt. J. M. Savary, que j’ai cité à ce sujet (chap. xvii § 1er) pour l’an V, nous l’apprend encore pour l’an VI : « L’aîné des frères (Joseph) devenu mon collègue au Conseil des Cinq-Cents, à son retour de Rome, au mois de pluviôse an VI (23 janvier 1798), m’avait témoigné le désir de voir le général appelé au Directoire comme une récompense due à ses services » (Mon examen de conscience sur le 18 brumaire, p. 7). Il sonda à cet égard Gohier ; celui-ci lui objecta qu’il n’avait pas l’âge exigé par la Constitution, refusa formellement de se prêter à la moindre atteinte au texte constitutionnel et lui offrit un commandement militaire (Mémoires, t. Ier, p. 218). Le jour de sa réception par le Directoire, on l’invita à désigner l’armée qu’il préférait commander ; sous prétexte de repos, il déclina cette invitation. C’était le pouvoir qu’il convoitait. Il comprenait que, pour avoir la certitude de le prendre, il avait besoin d’un appui dans le Directoire. Par suite, après avoir voulu éliminer Sieyès avec l’appui de Gohier, il devait, cet appui lui échappant, Barras, à qui il avait dû songer, lui paraissant « coulé », suivant l’expression de Le Coulteux (de Canteleu, dans ses Souvenirs, (t. II, p 216 des Mémoires sur les journées révolutionnaires et les coups d’État,