Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/66

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en France et enrayer ainsi le mouvement révolutionnaire dans toute l’Europe » (Le Directoire, t. Ier, p. 103). Très raisonnablement, on pouvait songer à rendre définitive cette suspension désirée par les vaincus. Mais, s’il ne fallait pas désespérer ceux-ci, il ne fallait pas non plus humilier les vainqueurs. Modération et générosité, soit ; mais aussi, à côté de satisfactions matérielles pour la masse, équitables et apaisantes, fermeté, prévoyance et souci de la dignité républicaine, telle devait être la règle de conduite.

Il est probable qu’il y a eu, à la base de l’insurrection vendéenne, un mouvement de révolte, des plus pauvres paysans en particulier, contre le bouleversement de leurs anciennes coutumes de vie. Il est probable que les inconvénients tout nouveaux de l’évolution économique bourgeoise ont paru à beaucoup d’entre eux plus intolérables que ceux de l’ancien ordre des choses auquel ils étaient accoutumés. Il est probable que des nobles, que les prêtres surtout, dont on ne saurait nier la puissante influence sur cette population ignorante, ont suivi la tactique indiquée par Jaurès (à la fin de la page 190 du tome Ier) et exploité sa haine des bourgeois des villes, prêteurs d’argent ou acheteurs de propriétés rurales, revendiquant, aussi bien contre les misérables familles paysannes que contre la noblesse, la faculté d’exercer leur droit propriétaire dans toute sa plénitude, dans toute sa rigueur, sans compenser par des avantages matériels immédiatement appréciables les maigres mais traditionnelles ressources de glanage, de vaine pâture, etc., dont les plus malheureux se trouvaient expropriés par des partisans de la République. Quoi qu’il en soit, une fois leur clientèle constituée par cette exploitation des ressentiments économiques des paysans pauvres, la noblesse et le clergé factieux n’avaient pu la transformer en instrument aveugle de leurs intérêts pour l’avenir qu’en subissant d’être frustrés par elle de leurs revenus présents. À leur grand déplaisir, ils virent se satisfaire à leur détriment cette cupidité paysanne qu’ils avaient déchaînée contre les bénéficiaires du nouveau régime et, par suite, contre ce régime lui-même, contre la Révolution et la République. Les nobles, les anciens maîtres, ne luttaient réellement pour aucune revendication populaire, mais pour la défense de leurs privilèges. La masse insurgée, elle, était dans son ensemble avant tout poussée par l’appât de profits matériels ; elle s’inquiéta peu de savoir à qui elle nuisait, pourvu que son appétit de jouissances nouvelles pour elle fût apaisé. En admettant qu’au début elle n’ait songé qu’à reprendre les petits avantages économiques dont la propriété bourgeoise la privait, mise en goût par quelques pillages aussi pieux que fructueux — « inévitables « (Bittard des Portes, Charette et la guerre de Vendée, p.465) — de républicains, elle était vite devenue plus exigeante et avait fini par accaparer tous les revenus du pays, y compris ceux qui appartenaient à la noblesse et au clergé ; à la fin, elle ne se battait plus, peut-on dire, que par amour du brigandage et de ce qu’il rapportait. Comme nos bandes cléricales, antisémites et nationalistes