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gagner du temps pour préparer à l’aise un mauvais coup, refusait de traiter au moment où traitait Cormatin, le 1er floréal (20 avril). Aussi, le lendemain, les représentants décidaient de mettre fin à la suspension des hostilités accordée le 17 germinal (6 avril). Slofflet ne pouvait plus tenir ; plusieurs de ses officiers l’avaient abandonné, alléchés par l’argent de la République ; acculé, il faisait sa soumission le 13 floréal (2 mai), au milieu d’un champ, près de Saint-Florent. Dans les mêmes conditions qu’à Charette et à Sapinaud, on laissait 2 000 gardes et on promettait deux millions, sans compter l’argent des fonds secrets, à un homme dont Ruelle lui-même disait à la Convention : « Ce chef n’a voulu entendre aucune proposition tant qu’il ne lui a pas été prouvé que sa résistance serait inutile » ; le jour même, 20 floréal (9 mai), la Convention ratifiait une pareille transaction.

Faisant allusion aux républicains sérieux qui ne voyaient dans les marchés de la Jaunaie, de la Mabilais et de Saint-Florent qu’un cynique simulacre de paix, Ruelle ajoutait : « Plusieurs faits vous prouveront que l’on peut compter sur cette paix ». Les faits, nous le verrons, donnèrent un éclatant démenti à l’impudente affirmation de Ruelle. Ce ne fut que par les royalistes que les populations connurent d’abord les conventions faites ; à la prière de ces messieurs qui avaient demandé un délai pour préparer leurs partisans, la promulgation des décrets du 24 ventôse, 8 et 20 floréal avait été retardée et leur publication officielle n’eut lieu que dans le courant de prairial (fin mai-début de juin). Ils ne mirent, d’ailleurs, pas grande hâte dans la susdite préparation ; car on continua à arborer la cocarde blanche et à promener le drapeau blanc. Les républicains abandonnaient leurs postes pour établir ouvertement leur sincérité, les royalistes gardaient les leurs, occupaient même parfois ceux que quittaient les républicains et continuaient en paix meurtres et déprédations (Chassin, Les Pacifications de l’Ouest, t. Ier, p. 332) ; « des assassinats furent commis sur différents points du territoire », avoue Auvynet (Éclaircissements…, p. 502). Telle fut la fin de la première guerre, la prétendue pacification de la Bretagne et de la Vendée.

CHAPITRE VI

TRIOMPHE DE L’AGIOTAGE.

(nivôse à fructidor an III-janvier à août 1795.)

À Paris, la réaction politique et les progrès de l’agiotage allaient s’accentuant, et nous allons successivement examiner ces deux ordres de faits.

La situation politique était résumée par Babeuf dans son n° 29, daté « du 1er au 19 nivôse an III » (21 décembre 1794 au 8 janvier 1795), où apparaît une conscience très nette de la forme moderne de l’antagonisme des classes