Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/101

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victoire dont les résultats étaient consacrés du reste par toutes les autres remportées sur l’Europe. Par conséquent, la concession du pape n’est pas du tout une concession, c’est la reconnaissance purement platonique d’un état de fait qu’il n’était aucunement en son pouvoir de modifier et elle n’a pas dans le contrat la valeur réelle d’un apport. Le Concordat, sur ce point encore, est donc un mensonge et un défi à l’opinion républicaine, cela d’autant plus que l’Église, en n’apportant rien, a fait en sorte qu’on lui donne beaucoup : traitement pour les évêques et les curés (art. 14) ; permission de recevoir des fondations pieuses (art. 15). On peut nous redire aujourd’hui avec audace que, par instinct, l’âme chrétienne « inspirera toujours des donations pieuses et tendra à reformer le « milliard » longtemps après que le temps aura flétri les lauriers de ceux qui l’ont attaqué[1] » ; on peut nous répéter cela, mais il faudrait bien songer que si les lois de la Révolution n’avaient pas été détruites par Bonaparte, si la prééminence de l’esprit libre avait continué à exister seule au milieu des religions toutes tolérées par l’État sans préférence — sans Concordat ! — le « milliard » ne se serait pas reformé et on n’aurait pas à le détruire. La Révolution n’est pas finie et il faudra bien qu’un jour elle reprenne résolument sa marche en avant. Ce jour-là, la première mesure prise sera de renverser toutes les barrières mises devant elle pour la faire dévier ; ce jour-là, il n’y aura plus de Concordat, et nous saurons faire en sorte que le « milliard » ne vienne plus alimenter les forces rétrogrades[2].

Quoiqu’il en soit et puisque nous avons incidemment parlé du traitement donné par le gouvernement aux évêques et aux curés, nous devons insister sur ce point qu’à aucun moment ces traitements n’ont été envisagés comme devant compenser les biens du clergé donnés en gage aux porteurs d’assignats. Il n’y a pas entre l’article 13 et l’article 14 un rapport quelconque qui soit même indiqué. Bien mieux, la papauté fut surprise et inquiète à la pensée que le clergé serait pécuniairement sous la dépendance du gouvernement, mais comme Bonaparte ne voulait pas entendre parler de la dîme ni de dotations immédiates en immeubles des églises épiscopales, il fallut bien accepter l’offre de traitement. Le texte dit traitement et non pas indemnité, ce qui prouve bien la volonté du premier consul de les appointer au même titre que n’importe quel autre de ses fonctionnaires sans rechercher si ces appointements sont le juste revenu de biens spoliés. Ainsi, lorsque l’on fait dire au Concordat que le traitement consenti par l’article 14 est la reconnaissance d’une dette véritable contractée par l’État envers le clergé, on fausse com-

  1. M. Mathieu. Le Concordat de 1801, page 88.
  2. On remarquera que nous ne discutons pas sur la validité des ventes des biens d’Église, validité toujours contestée par les historiens réactionnaires. Nous renvoyons pour cela à tout ce qui a été dit déjà sur ce sujet dans les parties précédentes de cet ouvrage, en rappelant simplement qu’en 1790, l’Église n’ayant plus la personnalité civile, ses biens, quelle que soit leur origine, sont tombés dans le domaine public.