Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/149

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leurs troupes et de les diriger contre ce rebelle. Faites connaître à Bourmont qu’il ait à rendre ses canons vingt-quatre heures après votre sommation ; trois mille fusils trois jours après. Sur sa réponse négative, mettez-vous à la tête de vos troupes et ne quittez vos bottes que lorsque vous l’aurez détruit… C’est sur Bourmont, Frotté et Georges, que comptent les Anglais, et c’est sur cette diversion de la guerre des chouans que les ennemis espèrent pour le couronnement de la campagne prochaine[1] ». C’est là qu’est le vrai souci de Bonaparte : la campagne prochaine ! C’est d’elle, nous le savons, c’est de son issue victorieuse qu’il attend l’affermissement de son pouvoir, aussi précise-t-il : « Il faut que dans la première décade de ventôse ces trois foyers de guerre civile soient éteints à la fois ». Bourmont et Georges durent se rendre conformément aux instructions du premier consul et remettre leurs armes, après quoi l’un et l’autre furent envoyés à Paris où Bonaparte les reçut. À Bourmont, il conseilla de « vivre en citoyen paisible[2] ». Quant à Georges, il lui parut « un gros Breton dont peut-être il sera possible de tirer parti pour les intérêts mêmes de la patrie…[3] ».

En Normandie, Frotté avait repris la lutte et ses lieutenants, Chandellier, La Chapelle, le capitaine Charles, Commarque, parcouraient toute la région de l’Orne, du Calvados, de la Manche, pillant et brûlant au nom du roi. Pendant le mois de janvier 1800, ils attaquent Alençon (14), Vimoutiers (17), Bellevue (19), Gaie (20) sans que le général Guidal fasse rien pour les arrêter. Bonaparte cependant était décidé à agir avec la dernière rigueur contre Frotté et les chouans de Normandie et cela, comme le prouve M. Chassin, pour se venger du « caractère très particulièrement antibonapartiste » qui marqua la guerre civile dans ses derniers jours. Un exemple en est fourni dans la Lettre d’un Français en réponse à la proclamation du Corse Bonaparte aux provinces de l’Ouest et qui fut affichée en Normandie. L’auteur disait au premier consul : «… Tu n’es qu’un étranger obscur, élevé dans les écoles du roi, après la conquête de ta petite patrie… Tu as su conduire en Égypte un grand nombre de braves pour y faire périr ou laisser dans l’abandon et l’éloignement tes concurrents… » Afin d’éviter le retour des lenteurs mises par Hédouville dans les négociations avec les rebelles, lenteurs résultant, nous le savons, de ses attaches avec eux, Bonaparte rattacha la Normandie à la division de Paris commandée par Lefebvre et envoya Chambarlhac avec les 43e et 49e demi-brigades pour détruire les bandes royalistes. Le 26 janvier, Frotté était battu à Cossé ; le 4 février, Commarque manquait de tomber entre les mains de Chambarlhac au château de Chaux

  1. Chassin, op. cit., t. III, p. 568-569.
  2. Lettre de Clarke à Hédouville, 21 février 1800.
  3. Lettre de Bonaparte à Brune, 5 mars 1800. Fouché employa Bourmont dans l’ouest pour une mission « restée mystérieuse, qu’il remplit, semble-t-il, avec une rare duplicité, mais qui, en somme, aboutit à paralyser les derniers efforts des chefs vendéens insoumis. Traqué, menacé, ayant à ses trousses les espions et les sicaires de Fouché, Georges se décida à quitter la France, la menace à la bouche. » (Madelin-Fouché, t. I, p. 307.)