Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/166

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parti, notamment Charles de Hesse. Il y a eu, à d’autres époques, des projets de rapprochement entre ces extrêmes. Ils étaient d’accord pour leur but principal : la destruction du gouvernement en faisant périr son chef ; d’accord encore sur les résultats et les bénéfices que chaque parti désirait en recueillir : le gouvernement intérieur aux anarchistes, celui de l’ouest à Georges et autres chefs pareils, en y rétablissant l’insurrection pour laquelle tout avait été préparé depuis que Georges était revenu de l’Angleterre.

Mais tous ces racontars ne pouvaient plus tenir contre ce fait : les débats de l’affaire Saint-Régent avaient démontré que seuls les royalistes étaient coupables. Les républicains devaient donc être réhabilités. Il est impossible de dire, comme Bonaparte à Berlier, qu’ils n’avaient pas été condamnés pour l’attentat du 3 nivôse. S’il est vrai qu’en effet il n’est pas fait mention expresse de l’attentat dans la décision du Conseil d’État, il n’en est pas moins évident que c’est à cause de lui que les républicains ont été déportés, puisque Bonaparte et Fouché seuls les savaient innocents. Du reste, la seule lecture du sénatus-consulte du 15 nivôse suffit pour bien donner à la mesure le caractère d’une loi de circonstance. Nombreux furent les hommes qui, comme Miot de Melito, « ne se consolèrent jamais » d’avoir proscrit des innocents. Bonaparte n’avait pas, lui, de tels scrupules. D’un même coup, il avait frappé deux partis hostiles : il n’aurait eu garde d’être juste, pensant l’être à ses dépens !

Violateur de toutes les libertés, destructeur de toute justice, mais sachant combien la tyrannie est renforcée lorsqu’elle dispense les peines au gré de ses seuls désirs, Bonaparte devait chercher dans l’organisation judiciaire une arme aussi sûre que celle qu’il avait trouvée déjà dans l’organisation administrative — et plus tranchante ! Le premier effort porta sur les justices de paix qui, données au pays par la Constituante, avaient subsisté à travers tous les bouleversements. Berlier et Portalis demandèrent au Tribunat de réduire le nombre des juges de 6000 à 3600. De la sorte, le ressort de chaque justice devenait beaucoup plus considérable, le juge perdait contact avec ses administrés, qui souvent même ne pourraient avoir recours à lui parce que, trop éloignés et trop pauvres, ils ne pourraient le mettre au courant de leurs affaires. Le justiciable riche en conflit avec un pauvre avait tout à gagner dans une telle modification, car lui ne regarderait pas à un dérangement et à une dépense plus sérieuse et aurait toujours accès auprès du juge. La réforme ne se bornait pas là : on enlevait aux juges de paix la recherche et la poursuite des crimes ou délits pour la donner à un magistrat nommé par l’exécutif et amovible. Le juge de paix, élu par les citoyens et inamovible, apportait dans ses fonctions criminelles une indépendance trop grande, une justice trop impartiale, pour que Bonaparte consentit à les lui conserver. Il lui fallait des agents bien à lui, à sa merci, qu’il pût diriger ou influencer. Au reste, cette élection d’un magistrat par ses administrés ne