Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/226

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manique était définitivement scellé dans son tombeau. Avec ses dépouilles, Napoléon s’empressa de récompenser ses alliés. « Les électeurs Maximilien-Joseph (Bavière) et Frédéric (Wurtemberg) prenaient le titre de rois ; la Bavière, agrandie du Tyrol, du Vorarlberg, de Lindau, d’Augsbourg et de la principauté d’Ansbach enlevée à la Prusse, était richement dédommagée de la perte du grand-duché de Berg, et même de celle de l’évêché de Wurzbourg[1], qu’elle regrettait davantage ; elle gagnait environ 600 000 habitants, et comptait bien ne pas s’arrêter là. Le Wurtemberg recevait dans le Brisgau et la Souabe quelques 200 000 nouveaux sujets. Pour rattacher plus étroitement l’Allemagne à ses intérêts, Napoléon introduisait parmi ses souverains son beau-frère Murat, qu’il nommait grand-duc de Berg, et son oncle, le cardinal Fesch, que Dalberg[2] choisissait pour coadjuteur ; il mariait au prince héritier de Bade la nièce de Joséphine, Stéphanie Beauharnais… Il désirait, depuis plusieurs années, pour Eugène Beauharnais[3], la main de la princesse Augusta de Bavière ; Maximilien jugeait le prétendu un peu léger de fortune et d’aïeux ; on le menaça de faire enlever la princesse par les grenadiers de la garde[4] ». C’est donc la curée qui commence, la famille qui se case, les princes de la parenté qui se multiplient, imposés en tous pays par l’extraordinaire aventurier qui taille dans l’Europe comme à sa guise.

En Italie, en effet, comme en Allemagne, la famille impériale reçoit des territoires. La reine Caroline de Naples avait eu l’imprudence d’entrer dans l’alliance anglaise quelques jours avant Austerlitz : Masséna et Gouvion Saint-Cyr reçurent mission de la punir, et les Bourbons de Naples durent aller se réfugier à Palerme (13 janvier 1806), tandis que Joseph Bonaparte prenait le titre de roi de Naples et des Deux-Siciles. Elisa Bacciochi, sœur de Napoléon, devint princesse de Lucques et de Piombino et bientôt grande-duchesse de Toscane ; Pauline Borghèse, autre sœur de l’empereur, devint princesse de Guastalla. En somme, Napoléon tenait à ce moment toute l’Italie, sauf les États du pape qui, avec Rome, restaient indépendants au centre. Mais il faut s’entendre sur la valeur de ce mot indépendance ! Pie VII, lorsqu’il avait enfin pu rentrer sain et sauf en Italie, après le sacre, avait rapporté de son séjour à Paris la certitude que Napoléon ne souffrirait jamais de sa part le moindre acte hostile. Il ne lui avait rien accordé de ce qu’il demandait, avait refusé d’abolir les articles organiques, et avait maintenu le divorce dans le Code civil. L’empereur ayant pris la couronne d’Italie, les craintes romaines eurent tout lieu d’augmenter encore. Napoléon, en effet, s’empressa de nommer des évêques à son gré, sans respect pour le Concordat passé entre la papauté et la République cisalpine, et, comme Pie VII refusait

  1. Napoléon transporta à Wurzbourg l’archiduc Ferdinand, frère de François II à qui il enleva Salzbourg.
  2. Archevêque de Ratisbonne. Voyez supra, 175.
  3. Fils de Joséphine et par conséquent beau-fils de Napoléon.
  4. Denis. L’Allemagne 1789-1810.