Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/236

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qui, chaque année, viennent par milliers se mettre au service de Corses souvent pauvres, mais toujours obstinés à ne pas travailler par eux-mêmes. Il les craignait parce que le grondement révolutionnaire n’était pas si éloigné qu’il ne l’inquiétât encore. Il travailla donc toujours : d’une part, à les contenter, à veiller surtout à ce qu’il n’aient pas faim ; d’autre part, à les « tenir », à les surveiller, et la police ne manqua pas à sa tâche.

Au lendemain du coup d’État de brumaire, Bonaparte, considérant que la mauvaise saison était proche et que le froid, la pluie ou la neige pourraient bien montrer au prolétariat parisien qu’il avait encore beaucoup à faire avant de ne manquer de rien, s’inquiéta de donner du travail à ceux qui n’en avaient pas. La mesure était politique et le premier consul veilla à ce qu’elle fût promptement prise. Il ne faisait du reste, en cela, que suivre le plan tracé déjà par le Directoire. Le 8 frimaire an VIII[1], les consuls écrivirent en ces termes à la commission législative du conseil des Cinq-Cents :


« Citoyens représentants.

Le conseil des Cinq-Cents, invité par un message du Directoire exécutif, en date du 18 vendémiaire, à s’occuper promptement des moyens d’assurer du travail aux ouvriers pendant la saison rigoureuse, avait nommé une commission qui lui fit son rapport le 16 brumaire. Il est urgent de déterminer, dans le plus bref délai, les fonds applicables à cette dépense extraordinaire d’après les bases qui ont été proposées. Les consuls de la République vous transmettent le rapport qui leur a été présenté, à cette occasion, par le ministre de l’Intérieur et, en conformité de l’article 9 de la loi du 19 brumaire dernier, ils vous font la proposition formelle de statuer sur l’objet dont il s’agit.

Signé : Les Consuls de la République :
Roger Ducos   Sieyès. »


Le rapport du ministre de l’Intérieur, Laplace, daté du 8 frimaire également, dit : « L’approche d’une saison rigoureuse et les obstacles que les circonstances opposent à l’activité de l’industrie dans la commune de Paris ont inspiré depuis longtemps au gouvernement le désir d’offrir à la classe nombreuse des citoyens qui n’ont d’autre ressource que leurs bras des travaux utiles qui leur donnent une subsistance assurée. » La commission des Cinq-Cents a présenté un projet de résolution « qui renferme les moyens de cette idée philanthropique (sic.) ». Elle proposait donc d’établir les taxes suivantes : taxe additionnelle de 3 fr. 50 par hectolitre sur l’octroi des vins, 1 décime par bouteille pour vins en bouteille, impôt de 3 fr. par hectolitre et 0 fr. 05 par bouteille de bière, cidre et poiré, 0 fr, 25 par hectolitre d’orge et 0 fr. 05 par kilogramme de houblon. Les frais de régie de ces taxes additionnelles ne pouvaient excéder 0 fr. 08 par franc de produit brut, « parce

  1. Archives nationales, AFiv, pl. 6, n° 45.