Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/29

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la paix, et plus d’une fois le commissaire, interrompu par les applaudissements et les cris de : Vive la République ! a été obligé de répéter cette disposition bienfaisante. » C’est donc la paix qui est la plus désirée, et ce que l’on applaudit le plus dans le gouvernement nouveau, ce sont les promesses de paix. C’est intéressant à noter pour nous. Il semble que la famille des Bonaparte ait toujours vu sa fortune faite par le désir de paix de la nation et l’ait compromise ensuite par l’abus qu’elle a fait de la guerre. Ce qui est étrange, c’est que le pays se soit ainsi donné à des hommes qui promettaient la paix alors que, par vocation ou par tradition, ils n’avaient, pour asseoir leur gouvernement, que la seule gloire militaire en vue.

La présence du général Bonaparte à la tête du gouvernement n’empêcha pas qu’on crût à la paix, qu’on ne l’espérât — pas plus que pour un autre Bonaparte on ne se souleva devant la fameuse et monstrueuse formule : « L’Empire c’est la paix ! »

Du côté républicain, le calme le plus complet ne cessa de régner. Il n’y avait plus à Paris de centre où les Jacobins pussent se concerter en vue d’une opposition sérieuse. Les clubs jacobins étaient fermés, le peuple des faubourgs n’avait plus, depuis prairial, la force nécessaire pour s’armer. Du reste, on savait que Bonaparte avait parlé de faire fusiller Santerre s’il tentait une insurrection. Les royalistes, les réacteurs purent à l’aise crier : « A bas les Jacobins ! », ceux-ci ne pouvaient plus répondre. Et c’est alors, dans cette sécurité, que les partisans de l’ancien régime se redressèrent soudain. Au théâtre et à la rue, dans des pièces, par des caricatures et par des chansons, toute la Révolution est attaquée par eux, La Maison de Saint-Cloud, ridiculise les « autorités législatives », et le Représentant postiche montre un pantin grotesque qui personnifie le Représentant du peuple ; les Deux 18, les Jacobins à Montmartre, les Mariniers de Saint-Cloud, La Journée de Saint-Cloud ou les Projets à vau l’eau… sont autant de pièces où éclate le contentement des royalistes. Et, comme il ne pouvait en être autrement, dès le 26, « le citoyen Royer, chef du culte catholique dans la ci-devant église N.-D. », prononce un violent discours contre les institutions républicaines.

Cette explosion de tous les sentiments réactionnaires dut vite se calmer, du reste, car Bonaparte pas plus que Sieyès ne voulait répondre aux vœux des royalistes, et la police eut bientôt l’ordre de s’employer à réprimer leurs manifestations. Le gouvernement consulaire est un gouvernement de « concentration ». Ni extrême gauche, ni extrême droite… la formule est ancienne, et, quand on l’entend, il est n’est pas mauvais de se souvenir qu’elle a été appliquée déjà : on peut juger des résultats donnés.

En province, le coup d’État souleva plus de passion qu’il n’avait fait à Paris. M. Aulard[1] a montré que, contre l’avis de presque tous les histo-

  1. Id., 232.