Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/315

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Et, visiblement, l’espoir d’un tel culte se mêlait de façon précise à l’expression du regret d’être encore au rang des mortels.

Même à son lit de mort, Napoléon, toujours aveugle, ne consentit jamais à convenir de sa prodigieuse erreur, et, à Sainte-Hélène, parlant du « blocus continental », il proclamait encore qu’un tel projet était le plus vaste qu’il ait jamais conçu.

Vaste, il l’était certes : nous allons voir s’il eut d’autres mérites.

Mais il convient de remarquer auparavant que du moins son originalité doit être contestée : depuis longtemps, en effet, les idées de protectionnisme à outrance étaient en circulation : les tentatives avaient été nombreuses, de sévères mesures de prohibition et les taxes douanières dirigées contre l’importation anglaise font leur apparition dans notre histoire dès le xiie siècle. En 1172, un décret de Henri II stipule que les draps fabriqués avec des laines anglaises seront brûlés. À dater du règne de François Ier, des luttes de tarifs se mêlent à toutes les querelles politiques entre la France, l’Angleterre, la Hollande etl’Espagne. En 1572, René de Birague, garde des sceaux, se montre partisan convaincu des mesures de protection. Les États généraux de 1614 se déclarent fort hostiles à la liberté des échanges extérieurs.

Sous Louis XIV, se développe la doctrine économique qui prend le nom de colbertisme, et qui devait un jour ou l’autre enfanter les excès du blocus continental.

Et déjà, à cette époque, on sent s’exercer sur les gouvernements la pression d’une opinion volontairement égarée ; disons-le même à sa louange, Colbert fit preuve de clairvoyance en montrant une certaine réserve dans l’application de ses théories : il éprouvait quelque défiance à l’égard des commerçants et industriels, si empressés à solliciter des mesures prohibitives.

« Tous les éclaircissements, dit-il dans une lettre adressée à M. de Saizy, que vous prendrez près des marchands seront mêlés de leurs petits intérêts particuliers qui ne tendent ni au bien général du commerce, ni à celui de l’État[1] ! »

Mais la pente était glissante, et on s’y laissa d’autant plus entraîner que de l’autre côté du détroit les mêmes impatients appétits se manifestaient. Lorsqu’en 1713 un projet de traité de commerce, atténuant pour les deux pays les mesures restrictives, fut présenté au Parlement anglais, commerçants et industriels organisent une vigoureuse campagne contre l’entente pacifique. Ils vont jusqu’à exploiter la crédulité populaire, à menacer de fermer les manufactures si le traité était signé.

Dès lors le mouvement ne s’arrêta plus : aux États généraux, les cahiers de Rouen et d’Étampes réclamaient la guerre contre l’Angleterre, plutôt qu’un

  1. Voir Amé, Les tarifs de douane.