Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/340

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son étude sur la Révolution, Le rôle prépondérant joué, dans la chute de l’ancien régime, par la bourgeoisie, d’autant plus impatiente de pouvoir politique qu’elle avait déjà, par sa puissance industrielle, financière et commerciale, fortement ébranlé la prédominance de la féodalité immobilière. Il a, par des exemples frappants, des documents irréfutables, établi la prospérité toujours grandissante des villes industrielles à la veille de 1789 ; il a, soulignant l’incroyable aveuglement de Taine, prouvé combien cette force d’une bourgeoisie riche, ambitieuse et active se fit irrésistible, mise au service de la pensée révolutionnaire.

Au lendemain de cette révolution qu’elle sut confisquer à son profit — d’autant plus facilement, hélas, que le prolétariat n’avait pas encore sa conscience de classe — la bourgeoisie capitaliste résolut de tirer de sa victoire tout le parti possible.

Il y avait longtemps déjà, nous l’avons vu en parlant du colbertisme, qu’elle s’efforçait d’entraîner la monarchie dans le système du protectionnisme à outrance ; elle ne manqua point, nous l’avons aussi constaté, d’exercer une pression identique sur la Convention et sur le Directoire. Mais c’est en Napoléon qu’enfin elle trouva l’homme capable de mener jusqu’aux plus violentes et plus folles conséquences l’application intégrale du système protecteur. La bourgeoisie capitaliste ne ménagea d’ailleurs pas ses applaudissements et ses encouragements à celui dont elle attendait tant de complaisances. Les actes de barbarie que nous avons signalés, ces autodafés sauvages, où furent livrés aux flammes des millions de marchandises saisies, excitaient surtout l’enthousiasme des chambres de commerce et des chambres consultatives d’agriculture : les félicitations arrivaient en foule, et on lira avec intérêt ces lignes extraites d’une adresse envoyée par la chambre de commerce d’Amiens : « Sire, vos fidèles sujets, les membres de la chambre de commerce d’Amiens, organes des fabriques et du commerce du département de la Somme, viennent vous exprimer leur respectueuse reconnaissance pour votre décret du 18 du mois d’octobre. (Ce décret portait création des cours prévôtales de douanes, et décidait que les marchandises saisies seraient impitoyablement brûlées). La chambre de commerce d’Amiens s’enorgueillit aujourd’hui d’avoir demandé, dans un mémoire adressé le 24 février 1810 à son Excellence le ministre de l’Intérieur, le renouvellement de l’arrêt du Conseil du 6 janvier 1730. Cet arrêt ordonnait que les marchandises prohibées seraient lacérées et brûlées. Vous avez réalisé nos vœux. Les fabriques françaises n’auront plus à redouter maintenant, non seulement en France, mais même dans les pays étrangers, la concurrence des fabriques anglaises dans la consommation de leurs produits… »

Nous pourrions multiplier à l’infini les citations de textes semblables ; nous avons, plus haut, rapporté plusieurs pages des mémoires de Richard Lenoir : tout démontre que, d’une part, Napoléon était enchanté de trouver