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force par Napoléon, serait rendue à peu près inefficace : les souverains n’en faisaient-ils pas donner secrètement l’assurance à Pétersbourg ?

Ces préparatifs belliqueux de Napoléon ne l’avaient point empêché, quelque temps auparavant, d’assurer le tsar de son désir de maintenir la paix et de ses bonnes intentions. C’étaient là d’ingénieux passe-temps destinés à lui permettre de poursuivre l’organisation définitive de ses effectifs et de ses armements : trois corps d’armée français, en effet, avaient atteint l’Oder, tandis qu’on tentait encore, de part et d’autre, de se prodiguer de bonnes paroles, sur l’effet desquelles personne ne s’illusionnait. Alexandre rivalisait d’ailleurs de fourberie avec l’empereur : le 5 avril 1812, il signait avec Bernadotte, prince royal de Suède, un traité d’alliance offensive et défensive ; 30 000 Suédois devaient attaquer la Grande Armée en Allemagne ; en échange de cette coopération, la Russie garantissait à la Suède l’obtention de la Norvège.

Soucieux de se concilier, à défaut d’autre attitude, la neutralité, singulièrement bienfaisante en la circonstance, de l’Angleterre, Napoléon adressa, le 17 avril, à lord Castlereagh, des propositions modérées en apparence, toutefois, et c’était le point auquel l’Angleterre était fort attachée, Napoléon prétendait maintenir Joseph Bonaparte, piteux monarque, sur le trône d’Espagne ; il n’en fallait pas davantage pour faire cesser des négociations entreprises, de part et d’autre, avec un zèle si médiocre. L’Angleterre, cependant, ne paraissait pas disposée à user de magnanimité à l’égard de celui qui s’était efforcé de la ruiner : le 3 mai 1812, elle adhérait au traité suédo-russe et sa participation à cette coalition offensive devait avoir pour nous d’assez fâcheuses conséquences.

L’accueil fait par l’empereur à l’ultimatum d’Alexandre présenté par Kourakim, avait précipité les événements. Le tsar avait pressenti l’insuccès fatal de la démarche et des réclamations confiées par lui à son ambassadeur ; sans en attendre le résultat, il rejoignit son armée, vers la fin d’avril, à Wilna. Il comprenait la nécessité qui s’imposait à lui de ne point laisser s’écouler de jour qu’il n’eût plus solidement organisé la résistance ; de plus, il voulait prévenir toute surprise de nature à démoraliser ses troupes.

Le 9 mai 1812, Napoléon quittait Paris, accompagné de l’impératrice Marie-Louise. Le Moniteur officiel de l’empire annonça que le départ du souverain n’avait pour objet que « l’inspection de la Grande Armée réunie sur les bords de la Vistule ». C’était en réalité le départ pour la guerre ; mais l’empereur voulait donner le change à l’opinion publique et prétendait même persuader encore le tsar de la sincérité de ses sentiments pacifiques. Napoléon et Marie-Louise firent leur entrée à Dresde le 16 au soir ; ce fut le début de fêtes magnifiques qui ne durèrent pas moins de quinze jours et pendant lesquelles les princes de la Confédération du Rhin, l’empereur et l’impératrice d’Autriche vinrent porter au souverain français leurs adulations et leurs hommages empressés. Le roi de Prusse, désireux d’obtenir quelques dédom-