Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/453

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le créateur et le maître indiscuté. Pourquoi donc Bonaparte n’aurait-il pas créé des titres, tout comme, les rois d’antan ? Le droit de faire des nobles n’était-il pas un des privilèges du pouvoir souverain ? La noblesse impériale fut donc créée.

L’institution de l’ordre de la Légion d’honneur, sous le consulat avait été le premier pas dans la formation d’une nouvelle aristocratie ; c’est ce que met en pleine lumière M. Rais dans son livre : La représentation des aristocraties, que nous avons déjà cité.

Berlier, au Conseil d’État, avait fait la réflexion que « l’ordre proposé conduit à l’aristocratie ». Et le premier consul, qui n’en était plus à s’émouvoir d’une violation aux principes de 1789, de répondre : « Je ne crois pas que le peuple français aime la liberté et l’égalité ; les Français ne sont pas changés par dix ans de révolution. Ils n’ont qu’un sentiment : l’honneur. Il leur faut des distinctions… On a tout détruit, il s’agit de recréer. »

Et on passa outre les objections de Chauvelin, qui disait au Tribunat :

« La Légion d’honneur renferme tous les éléments qui ont fondé parmi tous les peuples la noblesse héréditaire : on y trouve des attributions particulières, des pouvoirs, des honneurs, des titres et des revenus fixes. Presque nulle part la noblesse n’a commencé avec tant d’avantages. »

Elle commençait en effet.

Le second pas de Napoléon dans cette voie fut fait en 1806, après le traité de Schœnbrunn et la déchéance des Bourbons de Naples, quand, le 31 mars, le Sénat reçut communication de divers décrets, parmi lesquels la principauté de Neufchâtel était conférée en toute propriété et souveraineté au maréchal Berthier. Un autre décret érigeait en même temps en duchés, grands fiefs de l’empire, la Dalmatic, l’Istrie, le Frioul, etc., etc. dont Napoléon proposait de donner l’investiture, pour être transmis héréditairement, par ordre de primogéniture aux descendants mâles de ceux en faveur de qui il en aurait disposé. Six autres grands fiefs turent institués dans le royaume des Deux-Siciles.

Le troisième pas fut fait par le sénatus-consulte du 10 août de la même année, ainsi conçu dans son article 5 : « Quand Sa Majesté le jugera convenable, soit pour récompenser de grands services, soit pour exciter une noble émulation, soit pour concourir à l’éclat du trône, elle pourra autoriser un chef de famille à substituer ses biens libres pour former la dotation d’un titre héréditaire que Sa Majesté érigerait en sa faveur, réversible à son fils né ou à naître, et à ses descendants en ligne directe, de male en mâle, par ordre de primogéniture ». C’était la création des majorats, régularisée plus tard, en 1807, par l’introduction de cette disposition dans le Code civil devenu le Code Napoléon.

Enfin, le 12 mars 1808, l’archichancelier Cambacérès vint lire au Sénat