Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/501

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Les événements qui bouleversaient l’ordre politique de la France ne pouvaient la laisser indifférente. Elle désira jouer dans cette tragédie un des premiers rôles, mais il lui manquait l’ampleur et la sobre raison, ou la rouerie dont il faut être pourvu pour accomplir ses desseins. Elle n’avait d’ailleurs ni l’autorité ni la force désirables pour se mêler sans restriction au grand mouvement national qui renversait les institutions et les idées de la tyrannie. Pareille en cela à la célèbre Olympe de Gouges, elle pensait à des solutions impossibles à réaliser, à des accords entre les partis, à de paisibles entente où résidait, lui semblait-il, la sauvegarde des factions aux prises. Ces vues sentimentales ne pouvaient guère prévaloir ; elle répugnait d’ailleurs aux méthodes rigoureuses dont se servaient les révolutionnaires, se compromit par sa ferveur royaliste, et, en septembre 1792, se retira à Coppet, Ce fut là, en Suisse, qu’elle publia, deux ans après, ses Réflexions sur la paix, adressées à M. Pitt et aux Français. Ces considérations libérales sur la situation politique lui permirent de rentrer à Paris, où elle reprit bientôt la vie commune avec M. de Staël et aussi les réceptions de jadis. Il faut avouer que cette série nouvelle de soirées constitua le milieu le plus disparate et le moins homogène qu’on pût voir. Tous les partis se rencontrèrent dans ses salons ; mais elle ne pouvait, malgré sa ferveur affichée pour la République et les idées dont on venait d’instaurer le règne, se, défendre d’accorder ses affections à ses amis d’autrefois, revenus avec elle, et qu’on accusait de préparer sournoisement la perte des républicains. Des soupçons, on en vint aux faits précis. Le Comité de salut public prit même à son endroit une décision éphémère. Soucieuse de sa tranquillité, Mme de Staël ferma son salon, et fit diversion en paraissant délaisser la politique pour l’achèvement et la publication de ses livres.

Les groupes politiques qui tenaient le pouvoir se défiaient de Mme de Staël et, s’ils ne lui interdisaient point le séjour sur le territoire français, ils la mirent dans l’obligation de s’en éloigner d’elle-même. Elle s’exila de nouveau en Suisse, et c’est à Coppet qu’elle écrivit le Traité des Passions. Cet ouvrage eut un grand succès, mais il ne rompit pas encore les soupçons et les médisances dont on accablait son auteur. Mme de Staël avait beau multiplier les actes de foi et des déclarations empreintes d’une très curieuse intransigeance républicaine, on n’accordait qu’assez peu de crédit à ces manifestations retentissantes d’une convertie dont tous contestaient le zèle et la sincérité.

Néanmoins, en 1797, elle osa rentrer à Paris et reprendre les réceptions qui l’avaient rendue si célèbre.

Et nous allons assister à un conflit violent entre la femme déjà célèbre et Bonaparte dans tout l’éclat de sa jeune gloire.

Les apologistes de Napoléon n’ont point manqué de prétendre que ce fut