Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/509

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au risque d’encourir les plus lourdes répressions, au développement d’une destinée générale conduite par un tyran, la critique courageuse et franche des esprits pour qui la défense de la pensée contre la force est la plus haute loi morale.

Avant de passer rapidement en revue les artistes qui contribuèrent à illustrer la peinture, la sculpture et l’architecture impériale, il convient de citer encore quelques noms d’écrivains médiocres, dont l’histoire, par un souci contestable a voulu conserver la mémoire. L’abbé Delille, que ses traductions assez plates des Géorgiques avaient déjà rendu célèbre, publia plusieurs poèmes dont la déplorable froideur n’égale que l’insipide correction. On remarque encore, avec assez de raison, de courtes pièces de Lebrun qui témoignent d’une certaine ironie et d’un talent souple, mais restreint.

Népomucène Lemercier a réuni sur son nom quelques-unes des attaques les mieux justifiées contre la littérature froide et abâtardie du premier Empire. On aurait donc la plus mauvaise grâce à le défendre.

Les Templiers, tragédie de Raynouard, firent un grand bruit en raison de l’intérêt qu’y parut prendre l’empereur. Mais le public ne ratifia pas toujours les décisions du despote : il préférait entendre les chansons chauvines de Béranger ou les vaudevilles inoffensifs de Désaugiers.

L’imitation des anciens sévissait avec fureur ; on pilla l’antiquité du mieux qu’on put, de Plaute jusqu’à Horace.

Molière ne fut pas épargné. L’épopée enflamma bien à tort des esprits d’ordinaire pondérés, et qui s’abandonnèrent à l’excès de leur grandiloquence au long d’interminables poèmes tombés depuis dans le plus complet oubli.

Joseph Chénier maniait avec plus d’aisance la satire. Il ne manque pas de verve dans ses saillies et ses épigrammes contre les critiques contemporains ; mais c’est à juste titre que ses tragédies sont tombées dans l’oubli. Il fit un Cyrus dont l’échec eut quelque retentissement, et d’autres pièces auxquelles on ne voulut pas consentir les honneurs de la rampe.

Il vaudrait peut-être mieux se borner à faire l’éloge des vertus civiques de Ducis : cela dispenserait d’analyser ses mérites littéraires, qui sont assurément de bien mince valeur. Lorsque cet écrivain manifeste de la passion ou des qualités dramatiques, on peut affirmer qu’il les prend à des sources, excellentes certes, mais auxquelles il est personnellement tout à fait étranger. On n’en doit pas moins un souvenir ému au poète pauvre qui, lorsque Napoléon résolut de le faire sénateur, refusa en disant : « Je suis catholique, poète, républicain et solitaire ; tout cela ne s’arrange ni avec les hommes, ni avec les places ».

Picard fit, en 1805 et 1815, quelques pièces qui ne sont pas sans intérêt, en raison du talent d’observation et de l’ironie spirituelle que sut manifester leur auteur.