Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/61

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Cambacérès et Lebrun, le soin de choisir les premiers sénateurs. Ils désignèrent des hommes connus dont les noms devaient accroître le prestige du régime : Monge, Cabanis, Kellermann, Yolney, Garat furent de ceux-là et on remarquera qu’ils représentent l’élite militaire, intellectuelle et législative de la Révolution. L’existence d’une quantité de personnages illustres « en disponibilité », prêts à figurer à la façade du nouvel édifice social, est une caractéristique de toute cette période. Ce qui est remarquable, ce n’est pas de les avoir tous réunis pour les combler d’honneurs, c’est de les avoir enchaînés dans des postes honorifiques. Hier encore, ils étaient dans la tourmente révolutionnaire, ils vivaient au milieu de la lutte des partis, c’est-à-dire dans des conditions où l’initiative individuelle, l’action personnelle affirmée sans défaillance sont seules garantes de la sécurité dans la situation acquise. Accoutumés à agir, à décider, doués de fortes qualités, ils ne paraissaient pas devoir s’immobiliser à jamais ; or ce fut précisément ce qui arriva. Tous ceux que le remous révolutionnaire avait fait surgir des entrailles de la Nation, tous ceux qui avaient marqué dans un parti, tous ceux qui, au cours des années troublées, avaient brillé dans les sciences, dans la politique, dans les arts ou dans la guerre, tous furent placés dans les couches supérieures de la « pyramide » et — pierres de cet extraordinaire monument — y restèrent rivés. Ainsi furent mis au Sénat, tant par désignation de Sieyès et de ses assesseurs que par cooptation des premiers nommés : Daubenton, Laplace, Le Couteulx de Cauteleu, François de Neufchâteau, Berthollet, Vieu, Clément de Ris, l’amiral Bougainville, le général Lespinasse, Choiseul-Praslin. Sans larder, les 60 sénateurs votèrent l’élection des listes de tribuns et de membres du Corps législatif arrêtées par Sieyès, leur président.

Les anciennes assemblées fournirent le principal contingent de ces élus du Sénat. Le Tribunat, dont nous avons marqué l’inutile rôle d’opposition, compta parmi ses 100 membres Daunou, Benjamin Constant, Marie-Joseph Chénier — trois grands talents annihilés — J.-B. Say, Jard-Panvillier, Laromiguières, Andrieux, Chauvelin, Laloi, Bailleul, Penières, Guinguené, Sedillez, Stanislas Girardin, Riouffe. Au Corps législatif, on appela des républicains sincères, tels que Grégoire, Florent-Guiot, Bréard. Leurs noms ressortent de la foule, formant cette assemblée de 300 membres dont 230 avaient figuré déjà au Conseil des Anciens (parmi eux Dalphonse, qui avait protesté énergiquement contre le 18 brumaire) et aux Cinq-Cents. Bonaparte s’occupa fort peu de tous les choix de tribuns ou de législateurs : il savait ce que vaudraient leurs désirs contre sa volonté, et une seule chose le préoccupait : la rapidité des désignations. Quand, après quelques jours, tous les corps furent définitivement constitués, alors il mit la machine gouvernementale en mouvement, il donna l’impulsion à tous les rouages administratifs. Et il le fit sans aucun retard. « Nous sommes entraînés dans un tour-