Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/196

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dinand lui-même, de ses propres mains, livre à l’expiation légale les hommes qu’il avait conviés à la révolte.

En France, l’opinion suivait avec une attention passionnée tous ces troubles. À trente années de distance, comme en un miroir vieilli, la France revoyait son image. L’Indépendance espagnole, la cause du peuple avaient pour naturels soutiens les libéraux, les républicains. Tout le royalisme exalté, toute l’émigration rancunière, toute la race abominable par qui la Sainte-Alliance des rois avait meurtri la France, tombait en prière pour le triomphe du roi félon, traître à sa parole, traître aux instruments misérables de ses ambitions. La Chambre entendit la noble protestation du général Foy réclamant pour le peuple espagnol le droit de vivre sous la Charte par lui réclamée. Le ministère des Affaires étrangères était échu à Mathieu de Montmorency, émigré farouche, esprit borné, incapable déporter sur l’état de l’Europe un jugement sûr. Naturellement, ce fut dans sa bouche l’apologie de l’absolutisme royal et l’allusion inévitable au malheur des Bourbons. Le ministre promit de secourir s’il y avait lieu, par les armes françaises, le roi d’Espagne en péril. La forte parole de Manuel releva l’outrage. Pour l’honneur de la France libérale et révolutionnaire, l’orateur vengea de tous les sarcasmes et de tous les sophismes le peuple espagnol et fit par avance retomber sur les têtes incapables ou coupables des ministres la responsabilité du sang français.

Au sein du Gouvernement, cependant, un homme se tenait, silencieux et fermé, qui n’apparut pas au débat, et qui était hostile autant que ces hommes du parti libéral à toute intervention française. C’était M. de Villèle lui-même. L’histoire lui doit cette justice de lui attribuer le difficile mérite d’une résistance obstinée aux conseils furieux de l’opinion et aux pressions de l’entourage royal et ministériel. Seul entre tous, il avait sur les événements espagnols une vue claire et si le courage en lui n’eût pas défailli, peut-être la France eût-elle fait devant l’histoire l’économie d’une iniquité, sans compter l’épargne du sang. Mais le premier ministre devait céder.

Sur ces entrefaites s’ouvrit le Congrès de Vienne. À la vérité ce Congrès n’avait pas été fixé pour qu’on s’y occupât des affaires d’Espagne. On se souvient que les puissances affectaient de tenir des assemblées où se rencontraient les diplomates chargés d’apporter, au nom de leur pays, leurs vues sur l’État de l’Europe. À Troppau, à Laybach, à Aix-la-Chapelle déjà, les diplomates s’étaient abouchés. Ils allaient se rencontrer à Vienne et l’occasion s’offrait de traiter les affaires d’Espagne : c’étaient celles-ci que réservait à l’examen l’ordre du jour des nations.

Le Conseil des ministres délégua pour représenter la France le ministre des Affaires étrangères, M. de Montmorency. Le choix était en tous sens déplorable, en ce qu’il portait sur un incapable et en ce que cet incapable était un fanatique partisan de l’intervention en Espagne. M. de Vil-