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Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/222

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Chambre des pairs et par des hommes qui cependant, comme MM. Molé et Pasquier, ne tenaient pas à la Révolution par des liens bien vivants. À la vérité, le rétablissement du droit d’aînesse entraînait la reconstitution de la grande propriété, enrayait le morcellement, était une atteinte à la petite propriété. En reconstituant de grands domaines entre quelques mains, on créait une caste privilégiée au point de vue social, au point de vue politique aussi, puisque le droit de vote s’appuyait sur l’importance de l’impôt. On organisait autour de la monarchie une garde éclatante et solide, armée de droits redoutables, dont la vie dépendrait du sort de la monarchie et qui serait liée par l’intérêt plus que par la conscience, à son périssable destin.

Ce projet témoignait non seulement d’un désir violent de résurrection féodale, mais aussi d’une pauvreté de vues qui étonne quand on pense qu’on peut imputer cette médiocrité dans les aperçus à M. de Villèle. La vérité, c’est qu’il n’était nullement partisan de ce projet que lui imposait, au nom des émigrés insatiables, son collègue M. de Peyronnet. Comme pour la guerre d’Espagne, il laissait l’initiative de toutes ces fautes à d’autres, sans se douter qu’un ministre de sa taille adhérait à ces fautes quand il ne protestait pas et que les responsabilités historiques s’alourdissaient sur son front.

Il fallait, en effet, être frappé de cécité pour ne pas apercevoir que par un pareil projet le régime marchait à l’encontre du siècle et revenait sur des chemins désertés par la société. On pouvait haïr la Révolution et regretter que la fatalité historique l’ait fait surgir ; mais la supprimer, supprimer les semences jetées au monde de ses mains pleines, arracher à la conscience, des hommes le dépôt des vérités et des principes qui y avait été placé, c’était une œuvre qui eût été impossible même au Dieu qu’imploraient tant d’agenouillements et qui ne pourrait, s’il existait, effacer ce qui fut. D’autre part, c’était ne pas comprendre l’essor économique nouveau dû à la création de la fortune mobilière et s’imaginer qu’on concentrerait les terres en quelques mains quand les capitaux tendaient à se diviser et à évoluer. C’était une folie. Sans compter la brutale atteinte à l’égalité cimentée par la famille, la déchéance jetée sur les cadets, sur les filles, le droit de tous les enfants au même régime familial et qu’ils tiennent de ce que le sang qui circule dans leurs veines fut le même dans les veines paternelles. Il y avait enfin l’avenir du pays, si cette chimère avait pu se réaliser, l’avenir du pays, écrasé sous cette concentration formidable, ennemie du progrès, fermée à toute application nouvelle de la science, routinière, rétrograde, stagnante. Tous ces spectres effrayèrent la Chambre des pairs, qui repoussa le projet ; restait la tentative qui marquait un état d’esprit inquiétant.

Comme toujours, la religion, pour marquer la défaite qu’elle venait d’éprouver en partie, faisait appel à des manifestations exubérantes et couvrait