Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/224

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avaient déplu. Des démissions suivaient les promotions scandaleuses où d’autres officiers triomphaient, leur uniforme n’étant plus que la livrée des valets de l’Église. Des missions partout parcouraient le pays, interdisant les représentations théâtrales sous le prétexte d’outrage au ciel, et surtout poursuivant Molière jusque dans la tombe en empêchant la reproduction de ce Tartufe dont les manœuvres souples et cyniques rappelaient trop leurs actuels procédés. La sacristie gouvernait, et dans son obscurité, le prêtre, redouté, dominait les familles. La congrégation allait jusqu’à placer des domestiques et jusqu’à rechercher les secrets de l’alcôve. Jamais son insolence ne fut pareille. Elle avait emprisonné dans ses mains invisibles tout le pouvoir, le roi, la cour, une partie de la presse. L’heure de son règne était venue et c’était elle qui tenait le sceptre débile que Charles X ne maniait plus.

À ce moment cependant, un coup redoutable, presque mortel, lui fut frappé. Il ne lui venait pas des soldats du libéralisme que cette réaction débordait, mais d’une main qu’on lui croyait amie. M. de Montlosier, ancien membre de la Constituante, émigré, défenseur intransigeant de l’ancien régime, publiait un Mémoire à consulter, qui fut contre l’organisation des jésuites un brillant réquisitoire. Certes le vieil ennemi de la Révolution, qu’avait plus encore aigri l’exil, ne pensait pas défendre par ce retentissant pamphlet la pensée libre dont il avait l’instinctive horreur. Il ne défendait même pas le libéralisme. Fidèle à sa foi, il parlait au nom de la religion, compromise par l’exploitation éhontée dont la compagnie de Jésus se faisait un bénéfice moral et un lucre matériel : sous les coups de ce catholique agenouillé devant l’autel dans un sincère élan, et qui n’était suspect à aucun, la congrégation recula. À la Chambre, M. de Frayssinous, interpellé, avoua l’existence, niée jusqu’alors, de cette association illégale que tant d’édits avaient proscrite. M. de Montlosier, ne se contentant pas de son accusation publique, dénonça à la cour de Paris cette existence irrégulière. Tous attendaient l’arrêt de la cour, déjà odieuse au royalisme pour avoir acquitté des journaux libéraux. La cour se déclara incompétente, mais en rappelant le nombre et la date et la substance des édits qui avaient interdit la congrégation des jésuites. La condamnation indirecte, mais tout de même redoutable, frappait au front cette compagnie, qui chancela. Contre elle, toutes les forces restées intactes, celles de la vieille France gallicane que représentait M. de Montlosier, celle de la France libérale qui parlait par M. Casimir Périer, la France des philosophes que la presse libérale symbolisait, la France des juristes indifférents à tout ce qui n’est pas la loi et qui s’exprimait par la cour de Paris, tout luttait. Mais, pris de vertige sur les hauteurs où le hasard de la vie et les retours de la fortune l’avaient placé, le vieux roi ne pensait plus, ne voyait plus. Il livrait son intérêt même, l’intérêt dynastique, ou dignité de roi laïc, tout le prestige résumé officiellement en