Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/259

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il se rendit à l’hôtel de ville et ce fut, tout de suite aussi, autour du vieux chef militaire, autour des souvenirs qu’il symbolisait, que se rallièrent les troupes épuisées mais vaillantes de l’insurrection.

Il faut dire aussi, pour ne pas jeter un trop absolu jugement sur les hommes et sur les choses, que le retrait des troupes ordonné par le dauphin pouvait et devait prendre pour les esprits une toute autre signification que celle d’une retraite. L’idée qui hantait obstinément l’esprit des libéraux, et qui était logique, c’est que ce coup d’État contre la volonté électorale du pays, préparé pendant des mois dans des conseils secrets, n’avait pas pu ne pas être envisagé dans toutes ses conséquences. Pour les libéraux, Charles X et M. de Polignac avaient dû prévoir leur défaite, le soulèvement parisien, la rencontre des troupes et du peuple, l’insuccès des armes royales dans Paris, la nécessité de faire appel à toute l’armée pour noyer Paris dans le sang, au prix d’un grand meurtre collectif. Le retrait des troupes, ordonné par le dauphin dont on connaissait l’impéritie, il est vrai, mais l’obstination dans le dessein, n’était-il pas le premier acte de cette sombre tragédie où Paris menaçait de succomber ? On pouvait d’autant mieux s’en douter que l’on connaissait les conseils de Marmont qui pressait le roi de se retirer sur la Loire, au sein d’une armée de cent mille hommes, et de convoquer, pour renforcer ses actes, la Chambre à Tours ou à Blois. On s’en pouvait d’autant mieux douter que, toute sa vie, Charles X avait blâmé son frère, Louis XVI, de sa pusillanimité et déclaré qu’un acte de force aurait arrêté l’élan de la Révolution. L’acte de force n’allait-il pas venir maintenant et Paris n’était-il pas à la veille du jour où il allait une fois de plus s’immoler pour défendre le droit de la nation et, par là, le droit des peuples ?

Cette immolation probable fut, sinon l’excuse, du moins l’explication des faiblesses parlementaires, et l’histoire en doit tenir compte, car elle est humaine. Mais cette œuvre sinistre et prochaine ne fit pas baisser le regard ardent et fier des combattants, et ce sera leur gloire éternelle d’avoir assumé sans pâlir les responsabilités dernières. Ce sera celle de La Fayette qui, le premier, eût succombé sous les coups, de quelques hommes intrépides à qui l’histoire donne l’éclat de ses mentions, du plus grand nombre, inconnu, obscur, anonyme, héroïque, qui, hélas ! ne peut avoir dans l’histoire qu’un piédestal innommé, pareil à ces colonnes brisées et vides de noms qui s’élèvent, dans les cimetières, pour symboliser le double néant de la mémoire des hommes et de la mémoire des choses. Mais la génération qui provoqua, appela sur elle le choc redoutable, préféra le sacrifice à une vie inerte, se prépara à faire don au monde, par l’amoncellement des cadavres, d’un magnifique exemple de fierté, demeure lumineuse sous le regard reconnaissant. Elle a relié à l’acte sublime de la Révolution notre temps et épuré et agrandi, pour nos mains qui furent, hélas ! souvent trop petites, le patrimoine de la noblesse humaine.