Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/261

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du royaume. La Chambre se réunit. Elle décida, pour frapper un coup, d’aller faire consacrer ce lieutenant-général à l’Hôtel de Ville, la légalité mourante cherchant dans la force créatrice de la Révolution un sûr auxiliaire.

Pénible et triste démarche à travers ces rues encore soulevées de la capitale ! Quelques-uns à peine saluaient au passage le duc d’Orléans, dont la main cherchait les étreintes avec une ostentation trop visible. Derrière lui, quelques députés précédés de Laffitte dans une chaise à porteurs. L’arrivée à l’Hôtel de Ville réservait un plus froid accueil au roi futur, qui trouva sur les marches du palais insurrectionnel tous les combattants irrités, ou déçus, ou refroidis. La commission municipale lui donna enfin asile. Mais restait à accomplir le geste symbolique : La Fayette prit par le bras l’homme dont le père lui avait été ennemi, se montra aux fenêtres, agita les trois couleurs révolutionnaires et subversives, et embrassa le duc. Ce fut une acclamation. La royauté nouvelle était née de la chaude étreinte de la révolution.

La royauté ancienne, pendant ce temps, marchait vers l’exil, par étapes et comme si elle avait voulu savourer sa déchéance. De Saint-Cloud, où elle régnait encore arrogante, l’autocratie de droit divin s’était repliée sur Versailles et puis sur Rambouillet, au milieu d’un désordre sans pareil, cheminant parmi les paysans gouailleurs, les soldats déserteurs, les officiers transfuges, les citadins soulevés. Le long des routes, des gibernes, des fusils, des sacs jetés pêle-mêle attestaient que la force se retirait de cette royauté qui ne se pouvait imposer que par le fer et à qui le fer manquait. En vain, par un suprême artifice, Charles X, pour laisser croire à la prééminence de son pouvoir, avait investi le duc d’Orléans de ses fonctions de lieutenant-général. Il était trop tard, la fonction avait été décernée par la Chambre, reconnue par la rue, et l’investiture royale était une capitulation et non une consécration. D’ailleurs les premiers pas vers l’exil, si discrets fussent-ils, avaient eu dans Paris le retentissement d’une fuite éperdue. Les libéraux apeurés avaient relevé un front pâli par la crainte ; MM. Thiers et Guizot, un moment absents, avaient montré leur profil aigu et souriant à la fois ; le duc d’Orléans s’était enhardi et, comme toujours, le fait donnait naissance au droit. L’Assemblée délégua à Charles X des commissaires qu’il ne voulut point voir et qu’il accepta. Par une ironie supérieure, telle que seul le destin la peut contenir, le maréchal Maison était au nombre des délégués, et ce même soldat, indifférent sous son armure servile, avait, comme général, reçu le comte d’Artois à Calais en 1814, et l’accompagnait à Cherbourg en 1830. Marmont fut au nombre des rares courtisans pour lesquels le malheur avait encore un rayonnement : il avait quelque mérite à s’endurcir ainsi contre l’infortune. Maltraité par la royauté, qui devait cependant à sa défection son succès rapide, laissé sans commandement important, privé du commandement des troupes en Algérie au profit de Bourmont, dont la tra-