Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/67

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tous les reproches. Il faut d’ailleurs résolument écarter de sa mémoire l’accusation de trahison : officier exclu comme ex-noble de l’armée, par le décret de la Révolution à laquelle il avait spontanément offert ses armes, il servit au second rang, avec quelque distinction, pendant l’Empire. La veille même de Waterloo, il recevait le maréchalat comme récompense de sa fermeté avec le duc d’Angoulême, son prisonnier. Il devait être poursuivi, proscrit, condamné, et mourir écrasé en même temps sous toutes les accusations, dont la plus légère accable son incapacité militaire. Où est la vérité ? Elle n’est ni avec Grouchy qui s’excuse totalement, ni avec ses accusateurs acharnés.

Le 17 juin, Napoléon avait donné à Grouchy l’ordre suivant qui était verbal, que Grouchy reconnaît avoir reçu : « Mettez-vous à la poursuite des Prussiens… Ne les perdez jamais de vue… » Il faut dire qu’à ce moment on avait perdu dix-sept heures mises à profit par Blücher pour évoluer.

Dans la journée du 18 juin, deux ordres écrits furent envoyés au maréchal par le major-général Soult. L’un, lui recommandant de « lier les communications » avec l’armée de l’empereur, est daté de 10 heures du matin, du champ de bataille de Waterloo ; l’autre, daté de 1 heure, lui recommandait « de manœuvrer dans la direction » de Waterloo et de tomber sur l’aile droite ennemie.

Certes, ces ordres annulaient l’ordre de la veille : mais le premier arriva à Grouchy à quatre heures et le second à sept heures du soir. À quatre heures, Grouchy n’était pas libre : malgré lui, soutient-il, Vandamme s’était laissé attirer dans les rues de Wavres par les Prussiens et il ne put le dégager de son âpre combat. À sept heures, il était trop tard. En fait, les officiers de Soult avaient mis six heures pour lui porter la volonté de l’empereur.

Mais les ordres verbaux, Grouchy a toujours nié les avoir reçus : pour le premier, cela paraît établi. Quant au second, le débat reste ouvert. Il ne nous paraît pas possible, quant à nous, qu’il en ait été ainsi et, afin d’enrichir d’un document de plus la discussion qui s’est élevée, nous tenons à citer partie d’une lettre qui vaut comme un témoignage et que nous tenons de l’amabilité de notre ami Gabriel Deville. Elle est écrite par son grand-père intervenant dans l’une des nombreuses querelles de presse qui s’élevèrent entre Grouchy et ses anciens lieutenants Gérard et Berthezène.


« Monsieur le rédacteur,

« Acteur très secondaire dans le drame à l’occasion duquel un débat vient de s’engager entre le général Berthezène et le maréchal Grouchy, j’en ai retenu quelques scènes.

« À ce titre, je puis, non pas donner de grands éclaircissements, mais fournir mon petit contingent dans les renseignements que ce débat doit provoquer.