Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/85

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avait, lors de sa fuite à Gand, déposés à Londres, ce qui, joint aux dépouilles de la fortune privée de l’empereur, constituait une rente pour sa fidélité. Talleyrand, qui avait été miné par ses collègues, prévenu, avait surgi de Vienne, avait confié sa cause à Wellington, s’était imposé ; il demeurait. Mais il fallut prendre, en outre, la charge de Fouché, et de la main de Wellington. Celui-ci pensait que l’habileté de Fouché serait, en de pareils moments, l’auxiliaire naturel du trône. Et on a vu que Fouché avait reçu, après une entrevue à Neuilly avec le roi, le portefeuille de la Police. Dans les derniers jours, il cumulait le titre de président du gouvernement provisoire et de ministre du roi. Avec eux, MM. de Jaucourt (Marine), Gouvion Saint-Cyr (Guerre), Pasquier (Justice) complétèrent ce gouvernement disparate, où un évêque marié, un régicide, des royalistes allaient se mettre d’accord pour exécuter la volonté royale. Enfin, M. Decazes, jeune homme qui, commandant d’un bataillon de la garde nationale, avait refusé obéissance à Napoléon, prit la préfecture de police. Ceci réglé, Louis XVIII, le 8 juillet, à quatre heures, rentra aux Tuileries, accueilli à la barrière par M. de Chabrol, préfet de la Seine, antérieurement sous-préfet de Savone et geôlier du pape, et qui, d’avoir contemplé tant de spectacles contradictoires, avait perdu la faculté de l’étonnement.

Comme en 1814, Louis XVIII rentrait dans une capitale que lui livrait l’invasion et, quelque soin qu’il prît pour marquer sa dignité, il n’a pas pu effacer sur son nom de famille la tache qui la souille. Pendant toute la Restauration, une sourde colère circulera dans les consciences contre cette intronisation, pour aboutir enfin au tardif éclat de juillet 1830. Mais quelle différence offrait la ville en 1815 et en 1814 ! Paris n’était plus qu’un camp retranché où, dans le bariolement des uniformes, seul l’uniforme français faisait défaut. La ville était livrée aux armées de l’Europe. On se rappelle que Blücher avait exigé le logement chez l’habitant pour ses 50 000 soldats (son armée, la veille de son entrée dans Paris, s’était accrue). Il exigea plus : il fallut remettre à chaque soldat draps, couvertures, pain, viande, vin en quantité. À l’armée prussienne s’ajouta bientôt l’armée russe, puis l’armée anglaise, aussi exigeantes, aussi encombrantes. Toutes les requêtes insolentes, parfois cyniques des soldats, toutes leurs plaintes étaient accueillies par leurs chefs, qui se retournaient ensuite vers les autorités civiles pour réclamer l’exécution des mesures arrêtées. Autour des Tuileries, les canons prussiens, la mèche allumée ; ce qui n’empêcha pas, le soir de l’arrivée du roi, les dames de l’aristocratie de se produire dans des danses de joie. Au Luxembourg, même spectacle. Blücher réclame 100 millions d’indemnité qu’il veut bien réduire, sur la plainte des alliés redoutant la gloutonnerie teutonne, à 10 millions. Il dispose des mines sous le pont d’Iéna, et va le faire sauter, quand, heureusement, le 10 juillet, les souverains arrivent, l’en empêchent et, plus humains, régularisent un peu cette anarchie. En