Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/294

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

« des mesures qui seules nous semblent propres à la rassurer et à mettre hors de péril la personne du roi et la constitution de l’État ». L’histoire proteste à chacune de ses pages contre cette thèse monstrueuse qui consiste à chercher l’ordre dans la suppression des libertés publiques, et à lier à celles-ci la fatalité des attentats politiques. Il n’y a nulle liberté politique en Russie, et c’est précisément pour cela que les attentats politiques y sont plus fréquents qu’ailleurs. La politique de réaction de Louis-Philippe va s’accentuer : les complots et les attentats se multiplieront dans la même mesure, ainsi que nous le verrons dans la suite de ce récit.

La Chambre, toute à l’impulsion actuelle, incapable de résister à la volonté du gouvernement, vota d’enthousiasme les lois de septembre. Elles ont suggéré à Louis-Blanc des réflexions qui sont bien d’un disciple docile de Rousseau. Dans sa passion de démocrate unitaire rêvant d’une société qui épurera les mœurs et décrétera la morale privée et publique, il s’indigne contre le caractère unilatéral des lois de septembre. « On avait décrété en France l’anarchie des cultes, dit-il, et l’on y déclarait factieuse la lutte pacifique des systèmes. Il n’était plus permis de se dire républicain là où il l’était de se dire athée ! Discuter Dieu restait un droit ; discuter le roi devenait un crime. » Parlant de la censure, il déclare que « dans un pays où le gouvernement serait digne de ce nom, l’État ne saurait renoncer à la direction morale de la société par le théâtre, sans abdiquer. » Et il reproche aux ministres du 11 octobre de n’avoir pas eu « pour but la réalisation d’une aussi noble pensée » que la moralisation publique. Cette opinion, directement inspirée de Robespierre et surtout de Jean-Jacques, suscita des polémiques et brouilla le jeune républicain avec quelques-uns de ses amis. À l’ouverture de la session, de 1836, le 14 janvier, Humann déposait un projet de conversion du 5% joint au budget pour 1837. La mesure était excellente en soi, mais le ministre des finances, avait négligé de prendre l’avis de ses collègues du ministère, qui lui adressèrent le lendemain, en séance du conseil, les plus vifs reproches. Louis-Philippe fut accusé d’avoir poussé Humann pour se débarrasser du duc de Broglie. M. Thureau-Dangin défend très faiblement de ce reproche le monarque qui vit tomber son cabinet « sans faire effort, dit-il, ni pour le maintenir, ni pour le retenir. »

Entre temps, les accusés de Lunéville étaient frappés. Le 27 décembre, le sous-officier Thomas fut condamné à la déportation, les autres à cinq ans et trois ans de prison et à la surveillance. Le 28 décembre, c’était le tour des accusés de Saint-Étienne, Grenoble, Marseille, Arbois et Besançon. Marc Caussidière était condamné à vingt ans de détention. Le 23 janvier 1836, c’était le tour des Parisiens : Beaumont et Kersausie étaient déportés. Cavaignac, Berryer-Fontaine, Vignerte, Lebon, Guinard, Delente, de Ludre, Armand Marrast, contumaces, étaient également condamnés à la déportation. Nul acquittement ne fut naturellement prononcé, pas plus en faveur de ceux qui avaient accepté le procès qu’en faveur des autres. Thiers avait cru en finir avec le parti républicain. La propagande et l’action n’allaient pas tarder à lui prouver que nulle force ne pouvait réprimer l’inévitable développement de la démocratie et du socialisme.