Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/377

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Pour faciliter cet accord, les ouvriers tailleurs demandèrent au préfet de police l’autorisation de tenir une réunion à la barrière du Roule. Le préfet de police autorisa, et trois mille ouvriers se réunirent pour nommer leurs délégués.

Mais à cette réunion se joignirent les cordonniers, également en grève, et partisans eux aussi d’un arbitrage. Or, d’une part, les maîtres cordonniers n’étaient pas disposés à accéder aux désirs de leurs ouvriers, d’autre part, le préfet de police n’avait pas autorisé ceux-ci à se réunir. De plus, la constitution d’un tribunal arbitral traînait en longueur, les patrons montrant pour cette procédure une répugnance dont ils ne se sont pas encore défaits aujourd’hui

L’affaire des ouvriers en papiers peints avait soulevé d’indignation la classe ouvrière tout entière. Les typographes ne se mirent pas en grève, mais ils prélevèrent sur leur salaire un cotisation permanente pour soutenir les tailleurs jusqu’à la décision des arbitres. C’est ainsi que des coalitions partielles devenaient par la force des choses une coalition générale des ouvriers et que leur solidarité leur était révélée par la solidarité des patrons et l’appui que ceux-ci recevaient de la loi et de ses agents.

Mais ceux-ci observaient-ils la loi qu’ils étaient chargés d’appliquer ? Nous venons de voir le préfet de police autoriser les réunions des tailleurs et la nomination de leurs délégués. Les faits étaient-ils donc plus forts que les textes ? Oui. Nous savons par les Mémoires du policier de La Hodde que le pouvoir craignait les mouvements populaires suscités par les grèves, tant à cause des sympathies qui pouvaient, dans le public, s’attacher à la cause des ouvriers, qu’à cause de l’agitation révolutionnaire qui pouvait s’ensuivre. « Des hommes audacieux, dit La Hodde, avaient là une occasion pour provoquer de grands malheurs. »

Les révolutionnaires, en effet, étaient très attentifs aux grèves. Ces milliers d’hommes inoccupés pouvaient, dans un moment d’exaspération amenée par la faim, par l’excitation résultant de leur contact, par la constatation de leur nombre, devenir une force de révolution. Les survivants du 12 mai, ceux qui avaient échappé aux balles des municipaux et à la répression, suivaient de près les phases de la lutte ouvrière, et nous allons voir qu’à un moment aigu ils tentèrent de lui donner un caractère révolutionnaire.

Cependant, les réunions que le préfet de police avait permises aux tailleurs, ne le furent pas aux menuisiers. Et celle qu’ils tinrent en juin à la barrière du Maine, quoique très calme, fut brutalement dispersée par la garde municipale. Que s’était-il donc passé ? Faut-il voir dans ce changement d’attitude du préfet de police l’influence de Thiers ? Un fonctionnaire, si haut placé soit-il, est toujours dans la main de son chef, surtout lorsque tous deux résident dans la même ville.

Après avoir cédé à un courant d’opinion, le pouvoir avait aperçu que