Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/407

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ler de l’Angleterre, de prouver au monde que le concert européen pouvait se passer de la nation d’où venaient toutes les révolutions. Le 15 juillet, les quatre puissances signaient un traité par lequel elles s’entendaient pour maintenir l’indépendance et l’intégrité de l’empire ottoman, et adressaient à Méhémet-Ali l’ultimatum, auquel il devait se soumettre dans les dix jours.

La nouvelle parvint en France avec l’éclat d’un coup de tonnerre. Non seulement cet arrangement avait été conclu sans la participation de la France, mais encore on ne le fit connaître à Guizot que lorsqu’il fut signé entre les puissances. Le coup avait donc été imprévu. Aussi, l’irritation fut-elle au comble dans tous les milieux, dans tous les partis. Lamartine s’écria : « C’est le Waterloo de la diplomatie. » De fait, Guizot avait été à la fois battu et berné. « C’est un nouveau traité de Chaumont ! » s’était écrié le maréchal Soult. De fait, la Sainte-Alliance était d’un côté et la France de l’autre.

La presse prit feu et propagea l’incendie. Le National cria au ministère : « Vous êtes traînés comme des poltrons à la queue de l’Europe, vous aviez espéré qu’en lui donnant pour gage toutes les réactions contre-révolutionnaires, elle vous accepterait avec reconnaissance. Aujourd’hui, elle vous rejette, vous méprise et vous insulte. » Mais connaissant bien Louis-Philippe et son désir de paix à tout prix, le rédacteur du journal républicain, après avoir proposé de porter la révolution sur le Rhin, en Italie, en Pologne, ajoutait : « Vous vous contenterez de faire un peu de bruit pour satisfaire l’opinion, sauf à l’endormir ou à la réprimer plus tard. »

La presse ministérielle exprimait bien haut la fureur générale. « Le traité est une insolence que la France ne supportera pas, disait le Journal des Débats. Son honneur le lui défend. » Non moins belliqueux, le Temps écrivait : « L’Europe est bien faible contre nous. Elle peut essayer de jouer avec nous le terrible jeu de la guerre ; nous jouerons avec elle le formidable jeu des révolutions. » Puis, les Débats reprenaient : « La France, s’il le faut, défendra seule l’indépendance de l’Europe ; pour cette cause, qui est celle de la civilisation contre la barbarie, de la liberté contre le despotisme, nous épuiserons jusqu’à la dernière goutte de notre sang.. » La Revue des Deux Mondes, dans un article non signé et attribué à Thiers, disait : « Si certaines limites sont franchies, c’est la guerre, la guerre à outrance, quel que soit le ministère. »

Ce n’était plus la question d’Orient que la France avait devant elle, c’était la Sainte-Alliance de 1815. Edgar Quinet, dans une brochure très remarquée, 1815-1840, disait que les difficultés présentes avaient pour origine les traités de 1815, « qui pèsent sur nous comme une fatalité. » Et il indiquait le devoir dont la France ne devait pas s’écarter : « La France, disait-il, ne doit pas faire un mouvement qui ne la mène à la délivrance du droit public des invasions. »

Et s’adressant aux Allemands, qu’il connaissait, au milieu desquels il venait de vivre : « Il n’est personne de ce côté du Rhin qui désire plus sincèrement votre amitié, leur disait-il ; mais si, pour l’obtenir, il s’agit de laisser éter-