Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/101

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Remplacer la licence de la tribune et les luttes émouvantes qui amenaient la chute ou l’élévation des ministères par une discussion libre, mais calme et sérieuse, était un service signalé rendu au pays et à la liberté même, car la liberté n’a pas d’ennemis plus redoutables que les emportements de la passion et la violence de la parole.

Fort du concours des grands corps de l’État et du dévouement de l’armée, fort surtout de l’appui de ce peuple qui sait que tous mes instants sont consacrés à ses intérêts, j’entrevois pour notre patrie un avenir plein d’espoir. La France, sans froisser les droits de personne, a repris dans le monde le rang qui lui convenait et peut se livrer avec sécurité à tout ce que produit de grand le génie de la paix. Que Dieu ne se lasse pas de la protéger, et bientôt l’on pourra dire de notre époque ce qu’un homme d’État, historien illustre et national, a écrit du Consulat : « La satisfaction était partout, et quiconque n’avait pas dans le cœur les mauvaises passions des partis était heureux du bonheur public. »

Les peuples heureux n’ont pas d’histoire. La tumultueuse histoire française semblait s’être arrêtée. Ces partis, naguère si agités, ces classes adverses dont la lutte sanglante avait troublé tous les cœurs en juin 48, ces masses ouvrières tourmentées de leur avenir, tout ce monde orageux semblait s’être apaisé, à l’ordre du Napoléon.

La vérité était qu’à l’heure où le parti républicain reconstitué faisait dans le pays une propagande heureuse, à l’heure où les ouvriers des villes, apprenant la pratique de l’association, pouvaient de nouveau espérer une émancipation prochaine, à l’heure où les paysans même commençaient de se réconcilier avec les autres prolétaires, le prince-président, jouant habilement des passions de tous et abusant du pouvoir qu’on lui avait abandonné, s’était emparé de la France. La lassitude des uns, la peur des autres étaient telles que le système de violence, de compression et d’hypocrites avances, par lequel il avait comme suspendu l’évolution régulière des partis et des classes, avait pleinement réussi. Il n’avait eu qu’un souci : l’affermissement de son pouvoir, l’avenir de sa dynastie. Pour l’avenir de sa dynastie, il avait décimé et proscrit les républicains, qui pouvaient troubler encore la paix napoléonienne. Pour l’avenir de sa dynastie, il avait donné à toutes les classes des satisfactions matérielles, aux bourgeois de grandes affaires, aux ouvriers de grands travaux et du pain a bon marché ; il avait surexcite chez les uns le goût d’entreprendre et il réveillait chez les autres le souci de leur condition. Pour l’avenir de sa dynastie, encore, il avait cherché la gloire Mules champs de bataille de Crimée ; il avait réveillé l’amour-propre national des Français ; et il avait utilisé les ambitions particulières des diverses nations européennes.

Mais qui pouvait se flatter de contenir toujours, ou de diriger à son profit ces forces immenses de l’histoire, les revendications des classes ou les espérances nationales ? Là est le drame du Second Empire. Ces forces, un