européennes s’en inquiétaient, les ministres mêmes de Napoléon, tenus en dehors du secret, s’en inquiétaient bien davantage. Au début de 1859, ils furent informés de ce qui se préparait.
Aux réceptions du jour de l’an, l’Europe fut dramatiquement avertie de ce qui se préparait. Au compliment du baron de Hübner, l’Empereur répondit : « Je regrette que nos relations avec le gouvernement autrichien ne soient plus aussi bonnes que par le passé ». Et, dix jours plus tard, ouvrant son Parlement, Victor-Emmanuel se déclarait « prêt à marcher résolument au-devant des éventualités de l’avenir, à ne plus sacrifier au respect des traités le long cri de douleur qui s’élevait vers lui de tant de parties de l’Italie. L’Empereur avait lui-même revu et corrigé le discours du roi. La guerre parut imminente ; la Bourse baissa.
Ce ne fut pourtant qu’à la fin d’avril que la guerre éclata. Pendant quatre mois, la diplomatie européenne, inspirée par l’Angleterre, essaya de régler la question par un Congrès. Pendant quatre mois aussi, les conseillers de l’Empereur, Fould, Walewski, Morny, Rélissier, Vaillant, Fleury s’efforcèrent de l’arrêter dans son entreprise, prédisant des catastrophes, montrant l’insuffisance des forces militaires contre des coalitions possibles.
Alors se passa un fait singulier. Contre ces conseillers timides, contre ces hommes qui lui montraient la froideur de l’opinion, Napoléon III tenta de réveiller la passion propagandiste, cette passion de l’intervention pour la liberté des peuples, qui avait été le patrimoine commun des républicains et des bonapartistes. Contre les cléricaux ou contre les timides, il sentit le besoin d’être appuyé par une force populaire, par un enthousiasme nationaliste. Il fit appel aux vieilles traditions révolutionnaires. Dans cette heure incertaine, l’homme qui avait ruiné la presse, étouffé la voix des parlementaires, supprimé l’opinion, se sentit seul en face de ses alliés cléricaux ou de ses intimes. Il voulut que d’autres pussent parler.
De là cette étrange attitude d’un prince absolu qui fait appel à l’opinion, qui veut par avance une approbation de ses actes. Le 3 février, sous le nom de M. de la Guéronnière, conseiller d’État, parut la brochure : L’Empereur et l’Italie. Napoléon III l’avait commandée et peut-être dictée. L’auteur y faisait appel au nationalisme traditionnel. Il y montrait le rôle d’arbitre des peuples que la France avait à remplir ; il rappelait sa mission historique, la protection des principes reconnus, la défense des droits authentiques de tous les peuples ; mais il disait aussi son désir de la voir remplir pacifiquement cette mission. Quelques jours plus tard, le 7, l’Empereur parlant de la situation anormale de l’Italie, et d’une guerre possible, disait au Corps législatif, dans un langage également propre à réveiller la passion interventionniste : « Que les uns appellent la guerre de tous leurs vœux, sans raison légitime : que les autres, dans leurs craintes exagérées, se plaisent à montrer à la France les périls d’une nouvelle coalition ; je resterai inébranlable dans les voies du droit, de la justice, de l’honneur national, et mon gouvernement