Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/139

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Le 3 août, le comte Arese était revenu, en grand secret, à Saint-Cloud, et rappelait à l’Empereur le devoir de la France. Une ardente campagne était menée auprès du souverain contre le trop prudent Walewski ; et, de Londres, par l’intermédiaire de Persigny, Palmerston y prenait part. A la fin le ministre dut se retirer. L’Empereur allait entreprendre, diplomatiquement cette fois, une seconde campagne d’Italie.

Avant de l’ouvrir, il jugea bon de renforcer son crédit auprès des libéraux. Il publia l’amnistie du 17 août 1859. « Amnistie pleine et entière était accordée à tous les individus qui avaient été condamnés pour crimes et délits politiques, ou qui avaient été l’objet de mesures de sûreté générale ». Les proscrits allaient pouvoir rentrer en France sans condition. En 1856, encore, lors de la première amnistie, on avait demandé à ceux qui voulaient rentrer la reconnaissance du gouvernement établi. En 1859, ils pouvaient rentrer la tête haute, sans engagement, demeurer les irréductibles adversaires du régime.

Quelques-uns cependant refusèrent. Madier de Montjau déclara que lui, « ancien représentant du peuple à l’Assemblée violée par le Coup d’État, il n’accepterait pas, à la face du monde, pour lui et pour le corps illustre dont il avait fait partie, le pardon de l’auteur même du Coup d’État ». Charras déclara qu’il ne permettait pas au criminel de pardonner à ses victimes. « A qui viole la loi, il n’appartient pas de faire grâce à qui la défendit… Je le déclare, je ne vous amnistie pas. Je ne vous pardonne pas la mort de quinze mille Français, massacres en décembre, dévorés par vos prisons et vos bagnes, par les misères et les chagrins de l’exil. Je ne vous pardonne pas l’attentat à la Constitution que vous aviez jurée, la destruction de la République qui vous avait rendu la patrie… Le jour où la liberté, le droit, la justice rentreront en France pour vous infliger le plus mérité des châtiments, j’y rentrerai. Ce jour-là est lent à venir, mais il viendra et je sais attendre ». Edgard Quinet, Schœlcher, Clément Thomas protestèrent. Victor Hugo fut fidèle à son engagement solennel de 1852 :

« Je resterai proscrit, voulant rester debout.
J’accepte l’âpre exil, n’eût-il ni fin ni terme ».

Mais comme le conseillaient unanimement Louis Blanc, qui lui non plus personnellement ne voulait point rentrer, Ledru-Rollin, exclu de l’amnistie, Félix Pyat et tous les chefs, la plupart rentrèrent, pour recommencer la lutte, pour servir la République. « L’amnistie est un moyen pour l’Empire, disait Félix Pyat. Pourquoi ne serait-elle pas un moyen pour la liberté ? » Et elle en fut un, en effet.

Mais sur l’heure, en août 1859, c’était surtout l’Empire qui en avait besoin. Il fallait, pour sa politique que le parti démocratique, que les républicains lui apportassent un concours plus ou moins direct, plus ou moins déclaré ; il fallait qu’il pût opposer leurs voix devenues plus fortes à celles des Catholiques, à celles des évêques qui haussaient le ton.