Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/272

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qui maintenaient, à l’Académie ou dans les salons de leurs châteaux, le culte de la liberté. En dépit de son inconcevable erreur sur le pouvoir temporel, ou malgré celle des républicains nationalisants sur l’unité allemande par la Prusse, lorsque le petit homme prenait la parole pour dénoncer le gaspillage des forces françaises et les imprudences de la diplomatie napoléonienne, il apparaissait, selon le mot de Pessard, comme « l’Egérie de toutes les oppositions unies ou séparées », et son toupet « blanc brillait comme un phare qui ralliait la gauche ».

Dès janvier 1804, lors de la discussion de l’adresse, Thiers avait signalé que l’expédition du Mexique coûtait 14 millions par mois au budget, et retenait loin de France 40.000 hommes, dont on pouvait avoir besoin. « L’honneur militaire est sauf, disait-il, l’archiduc n’est pas parti, il ne faut pas s’engager davantage et traiter avec Juarez ». Sage conseil et que la majorité elle-même entendait bien ; mais Rouher lui fit acclamer aussitôt « l’homme de génie » qui avait conçu l’expédition ; et lorsque Thiers voulut reprendre la parole, un Péreire s’écria « qu’on avait trop parlé déjà en faveur de l’étranger » et les fabricants de chocolat de la majorité refusèrent d’entendre sa réplique. Dans la même session, Jules Favre signala la violation du droit qui se commettait alors dans les duchés danois. Et, à l’occasion du budget, plusieurs fois encore, les orateurs de l’opposition recommencèrent leurs attaques contre le gaspillage mexicain.

Les événements, il fallait bien le reconnaître, leur donnaient raison. La majorité continuait d’applaudir Rouher, mais, secrètement, elle approuvait la gauche et il lui arrivait en 1805 de laisser échapper quelques « très bien » lorsque Berryer dénonçait « cette folie pure, de vouloir fonder l’équilibre de notre budget sur l’espoir des redevances mexicaines ». Dans le public on s’impatientait des fausses nouvelles et les journaux parlaient plus hardiment. « Les correspondances officielles, disaient un jour les Débats, peuvent se résumer en un seul mot : Juarez continue à être en fuite comme par le passé ».

En 1865, encore, lors de la discussion de l’adresse et lors du budget, l’opposition renouvela sa critique de la politique extérieure. Un député, récemment revenu de mission, M. Corta avait dépeint le Mexique comme un pays de Cocagne où tout allait à souhait. Le sceptique Ernest Picard n’en put pas moins dire à ses collègues que tous désiraient la fin de l’expédition et qu’ils devaient en hâter la fin, si du moins ils en avaient le courage. Il déchaîna un tumulte ; mais il avait dit vrai. A l’occasion du budget encore, Jules Favre dénonça les crimes commis par les troupes, les incendies de ville, et les jugements moins que sommaires rendus par les Conseils de guerre. M. de Guilloutet avait beau lui crier que « la Chambre l’écoutait avec indignation », M. Rouher avait beau justifier les crimes militaires en disant que les villes mexicaines n’étaient que « des repaires de brigands ». Chacun, dans la Chambre et dans le pays, sentait encore une fois qui des deux disait vrai. Les correspondances privées décrivaient les embarras, la faiblesse de