Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/324

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ministre libéral et vraiment démocrate qu’était M. Duruy, le seul ministre de Napoléon III qui ail été un peu populaire, put, après bien des résistances faire aboutir la grande loi sur l’enseignement primaire. Cœur droit, esprit élevé, démocrate impérialiste convaincu, mais sans basse pensée césarienne, Victor Duruy se proposait avec confiance l’instruction intégrale du peuple. « Le jour où l’on a mis, disait-il, le suffrage universel dans la constitution et la souveraineté dans le peuple, la libre concurrence dans l’industrie, les machines dans l’atelier et les problèmes sociaux dans les discussions journalières des ouvriers, on s’est imposé le devoir, pour sauver le travail national, l’ordre et la liberté, d’étendre par tous les moyens l’instruction et l’intelligence des classes laborieuses. » Depuis le début de 1865, le ministre était prêt ; mais « tout le monde était contre son projet », c’était le ministre de l’Intérieur lui-même qui le lui déclarait. Ce projet avait été annoncé le 6 mars 1865 et déposé en mai au Corps législatif. Ce n’est qu’en 1866 que la commission l’étudia, en 1867 qu’on le discuta. Il fut voté alors à l’unanimité. La loi du 10 avril 1867 obligeait toutes les communes de 500 habitants et plus à entretenir une école de filles ; elle autorisait toute commune établissant la gratuité absolue, à voter une imposition extraordinaire de 4 centimes au principal des quatre contributions directes ; elle établissait la caisse des écoles. La loi allait avoir pour effet la création de 8.000 écoles de ville, et de 2.000 écoles de hameau. Au même temps, sous l’impulsion du ministère, les cours d’adultes commençaient à prendre une extension tout à fait remarquable.

Au même temps, la classe ouvrière recevait une autre satisfaction. Elle demeurait toujours engouée de coopération ; elle attendait de ses sociétés, de ses sociétés de production surtout, la suppression du salariat, l’émancipation totale. Les exemples qu’elle donnait n’effrayait point trop le gouvernement impérial : la masse ouvrière, en s’occupant de coopération, écouterait moins peut-être les révolutionnaires. En ouvrant la session de 1865, l’Empereur avait déclaré « qu’il tenait à détruire tous les obstacles qui s’opposaient à la création des sociétés destinées à améliorer la condition des classes ouvrières » et il avait annoncé le dépôt d’un projet de loi. Les associations ouvrières n’avaient pas accueilli sans défiance cette trop belle déclaration. Le 19 février 1865, cinquante gérants ou membres d’associations avaient protesté contre l’idée « d’une loi destinée spécialement aux ouvriers » et réclamé le droit commun. Véron déclarait dans son livre « que la liberté vaudrait mieux pour les sociétés que la plus ingénieuse réglementation et que les dispositions les plus fastueusement protectrices ». Une enquête fut faite. La majorité des sociétés réclamèrent la liberté de se constituer comme elles l’entendaient, le droit de réunion, la réduction des frais de publicité. C’est en 1867, encore, le 24 juillet, que le gouvernement impérial fit aboutir la loi. Elle n’était point parfaite, loin de là : et les associations coopératives de production encore régies par elle aujourd’hui réclament, on le sait, un