Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/49

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dernier trait les juge : ne pouvant condamner, ils parlent de fesser publiquement leurs victimes.

Dans l’Hérault, 60.000 républicains, — oui, soixante mille, — avaient été dénoncés comme membres des sociétés secrètes. On avait reculé devant la transportation en masse ; mais 2.066 avaient été frappés. Et telle avait été raideur de la répression que des bonapartistes mêmes avaient été pris dans le tas. « Votre Excellence comprend, écrivait au Ministre de l’Intérieur le Préfet de l’Hérault, combien, sur 2.066 condamnations prononcées par les commissions mixtes, il a dû se commettre d’erreurs involontaires ou de rigueurs inutiles dans ce département, où la plupart des autorités locales étaient composées de légitimistes et où l’on ne se fait pas faute d’agir par la voie des dénonciations ». En s’excusant pour les bonapartistes, le Préfet avoue avec quelle violence d’arbitraire on a agi contre les républicains.

Au milieu de Mars, toute cette procédure des commissions mixtes était achevée. On avait évacué les prisons. C’est alors que des commissaires autorisés à prendre des mesures de clémence furent envoyés dans les provinces : Quentin-Bauchart dans le Sud-Est, Canrobert dans le centre, Espinasse dans le Sud-Ouest. Ils usèrent peu de l’autorisation qui leur avait été donnée : Espinasse déclara dans son rapport la répression trop douce et la clémence impopulaire. D’après un document trouvé aux Tuileries en 1870. il y aurait eu 26.642 individus arrêtés, 6.500 seulement relâchés, 5.108 soumis à la surveillance, 15.033 condamnés, dont 9.530 déportés en Algérie, 239 à Cayenne, 2.804 internés dans une ville française.

C’était en ces proscrits, c’était en ces prisonniers « qu’était toute la sève » selon le mot de George Sand. La grande masse allait redevenir indifférente et docile. Et le gouvernement, d’ailleurs, s’entendait à la contenir : il avait déjà fait ses preuves.

Aux votes, pour le plébiscite, pour les élections, les républicains furent surveillés. L’abstention, suprême moyen de protestation, n’était pas sans danger. L’instituteur de Fontenay, dans l’Yonne, fut frappé pour ce fait. Il y a mieux : le gouvernement avait ses otages, ses suspects, que ses agents surveillaient particulièrement, et dont ils se saisissaient lors d’une agitation quelconque, ou seulement, lors du passage du prince-président. La presse républicaine était naturellement réduite à l’impuissance. Les journaux étaient condamnés à périr ou à passer au bonapartisme. Les professeurs républicains, les officiers ministériels républicains, en un mot, tous les fonctionnaires suspects d’attachement au régime disparu, furent destitués. « La loyauté devint la condition sine qua non de la confiance et des faveurs de l’État ». Pendant toute l’année 1852, les rapports des préfets désignent des fonctionnaires qui doivent être révoqués : tel, pour ne pas avoir assisté à un service religieux ; d’autres, pour ne point apporter un appui efficace à l’Empire ; ou encore tel général orléaniste de Toulouse, qui ne « prend pas la plus légère