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Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/119

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tâche à remplir. En défendant la France, j’ai défendu l’Allemagne. Vous l’avez compris, vous avez osé le dire. »

Ainsi, Quinet s’efforçait, après Sadowa, d’épurer le patriotisme français et le patriotisme allemand de toute violence, de toute haine ; et c’est en proposant à la France et à l’Allemagne un but commun et sublime : la conquête de la liberté, qu’il espérait les détourner des belliqueuses décisions et les réconcilier à jamais. Lui-même donnait le bon exemple en abandonnant décidément toutes les revendications territoriales où un moment, en 1840, il s’était complu, et en reconnaissant la nécessité profonde de l’unité allemande. Les plus illustres des républicains démocrates français firent sur eux-mêmes un effort analogue, et à mesure que les événements se développent ils s’élèvent à des vues plus sereines et plus larges. Malgré sa sévérité pour l’œuvre de M. de Bismarck, Garnier-Pagès conclut à une politique de paix. Il déclare que si la France n’inquiète pas l’Allemagne, l’œuvre de M. de Bismarck se brisera, c’est-à-dire que l’Allemagne cherchera à réaliser son unité, non par la force prussienne, mais par la liberté allemande.

Jules Favre, après bien des oscillations, des tâtonnements, des contradictions, arrive enfin au point de pensée supérieur marqué par Quinet. Dans la question italienne, il avait toujours eu une opinion très nette ; toujours il avait appelé de ses vœux l’unité complète, la délivrance complète de l’Italie, la fin de la domination autrichienne et du pouvoir temporel. Chrétien philosophe, ce Lyonnais, à l’âme tourmentée et mystique, voyait dans la chute de l’État romain une victoire de la démocratie et du droit moderne, mais aussi un renouvellement du christianisme. En son discours du 1er mars 1866, il dénonçait, comme M. Chesnelong, le matérialisme, mais il ajoutait que la domination temporelle du pape était un appel à la puissance de la matière, une diminution de l’esprit : « Le christianisme, messieurs, soyez-en sûrs, entre dans sa phase philosophique, il se fortifie par les lumières de la science. Au lieu de lui barrer le chemin du siècle, ouvrez-le lui largement, que le siècle et lui fassent ensemble un pacte d’alliance, qu’ils se réconcilient l’un avec l’autre… Si c’est là votre foi, comme c’est la mienne, ne l’humiliez pas avec des formules qui pourraient lui donner le plus éclatant démenti. Craignez d’offenser Dieu en disant que la doctrine éternelle peut être subordonnée aux aberrations et aux passions contingentes de ses créatures. » Ainsi c’est avec l’unanimité de ses forces morales, c’est comme démocrate et comme libre chrétien mystique qu’il travaillait à la libération italienne. Devant la question allemande il était au contraire plein de trouble et de contrariété. Tout d’abord, quand la Prusse intervint au nom de l’Allemagne pour arracher au Danemark les populations allemandes des duchés, c’est contre la Prusse, en avril 1866, qu’il prend parti. Cédait-il surtout à la passion de la controverse contre l’Empire et voulait-il à tout prix critiquer la politique d’abstention, de non intervention que celui-ci avait pratiquée ? En tout cas il est visible qu’il ne