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Tout espoir de délivrer Paris et de rejeter l’envahisseur semblait donc perdu. Gambetta, seul, avec Chanzy, voulut prolonger encore la résistance. Jules Favre, au nom du Gouvernement de Paris, négocia le 26 janvier avec M. de Bismarck un armistice qui ne valait pas pour Paris seulement mais pour toute la France. Gambetta ne voulait pas s’y plier, mais le Gouvernement de Paris envoya Jules Simon à Bordeaux pour imposer la paix.

C’était le déchirement dans la défense. La paix était dès lors inévitable. Le pays envahi, brisé, nomma une Assemblée conservatrice hostile à la République, hostile à la guerre. Cette Assemblée, réunie à Bordeaux le 22 février, désigna M. Thiers comme chef d’un Gouvernement provisoire, et lui donna mandat de négocier la paix.

Le 1er mars, les Prussiens entraient à Paris et occupaient les Champs-Elysées. La paix fut conclue aux conditions les plus dures pour la France. Une indemnité de cinq milliards : mais surtout la cession de l’Alsace moins Belfort, et d’une partie de la Lorraine avec Metz. Terrible coup pour la patrie et aussi, quelles qu’aient été les fautes de la France, pour la civilisation.


CHAPITRE II

QUI EST RESPONSABLE DE LA GUERRE ?

Dans le conflit qui a mis aux prises deux puissantes nations, la France a une grande et profonde responsabilité. C’est elle qui l’a préparé dès longtemps et qui l’a rendu presque inévitable en méconnaissant les conditions de vie de l’Allemagne, en marquant une hostilité sourde ou violente à la nécessaire et légitime unité allemande. Cet aveu est douloureux sans doute, et il semble que ce soit redoubler la défaite du vaincu que le reconnaître responsable, pour une large part, de la guerre où il a succombé. Mais c’est au contraire échapper à la défaite en se haussant à la vérité qui sauve et qui prépare les relèvements. M. de Bismarck a dit : « La France est politiquement le plus ignorant de tous les peuples ; elle ignore ce qui se passe chez les autres. »

Sur l’Allemagne elle s’était longuement méprise. Elle avait oublié le merveilleux génie pratique et agissant de Frédéric II : elle avait oublié aussi l’admirable mouvement de passion nationale qui avait soulevé et emporté l’Allemagne de 1813. Elle se figurait que jamais l’âpre volonté prussienne ne disciplinerait les flottantes énergies de la race allemande. Et elle croyait qu’après une courte crise de patriotisme exaspéré, l’Allemagne, à peine délivrée de l’occupation étrangère, se livrait aux douceurs inertes d’un idéalisme impuissant,