Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/285

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redouter. Un seul coup de fusil tiré sur les Prussiens et ce pouvait être, c’était sûrement les hostilités recommençant, la guerre des rues, Paris à feu et à sang. Ici, ce qui restait du Comité central des vingt arrondissements, avec le Conseil fédéral de l’Internationale et la Fédération des Chambres syndicales, bref les socialistes intervinrent. Ils remontrèrent à la garde nationale l’inutilité, la folie d’une pareille aventure. Nous nous souvenons, insistaient-ils, des lugubres journées de juin. Toute attaque aujourd’hui comme alors ne servirait qu’à désigner le peuple aux coups des ennemis de la Révolution qui noieraient les revendications sociales dans un fleuve de sang.

Cette voix fut entendue. Le Comité provisoire de la garde nationale se rangea à cet avis, le seul sage, le seul admissible dans les circonstances. Même il le fit crânement et en reconnaissant son erreur première. Par affiche il disait : « Le Comité central, qui avait émis une opinion contraire, déclare qu’il se rallie à la résolution suivante : Il sera établi, tout autour des quartiers que doit occuper l’ennemi, une série de barricades propres à isoler complètement cette partie de la ville. Les habitants de la région circonscrite dans ces limites devront l’évacuer immédiatement. La garde nationale, de concert avec l’armée, formée en cordon tout autour, veillera à ce que l’ennemi, ainsi isolé sur un sol qui ne sera plus notre ville, ne puisse, en aucune façon, communiquer avec les parties retranchées de Paris. Le Comité central engage donc toute la garde nationale à prêter son concours à l’exécution des mesures nécessaires pour arriver à ce but, et éviter toute agression, qui serait le renversement immédiat de la République. »

Cette consigne fut strictement obéie. Son observation parait à un grand danger. Elle affirmait aussi la force et le crédit grandissants de la nouvelle institution, de ce Comité provisoire de la garde nationale qui, en des minutes particulièrement tragiques, se substituait au gouvernement, parlait sans détours, honnêtement, franchement à la population, l’apaisait, l’inclinait vers une attitude à la fois digne et sage.

Le Guillaume de Prusse, devenu empereur d’Allemagne, et qui, par deux fois, avait pénétré dans Paris dans des circonstances identiques, en 1815 et 1871, put juger mieux qu’aucun du contraste éloquent qu’offrirent les deux occupations. En 1815, les boulevards firent fête aux vainqueurs de Napoléon, accueillis avec des bouquets, des sourires et des baisers par les femmes de la haute : monde ou demi-monde. Nulle réserve, nul regret chez les classes dites supérieures ; l’indifférence tout au plus chez les gens du peuple. En 1871, c’est une ville morte qu’entrevirent les Prussiens demeurés cantonnés, selon la lettre de la convention, entre la Seine, la place de la Concorde, la rue du Faubourg-Saint-Honoré, l’avenue des Ternes, n’osant pas pousser au-delà, ne le pouvant pas. Les rues étaient désertes, les devantures des magasins et boutiques baissées avec la mention « fermé pour cause de deuil public », des drapeaux noirs flottaient sur tous les édifices nationaux et communaux, à nombre de