Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/286

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fenêtres de maisons particulières. La tristesse et l’angoisse se peignaient sur tous les visages. Partout le silence, la désolation. Les témoins oculaires de cette scène sont unanimes dans leur description. Le soir, disent-ils, Paris revêtit une physionomie sinistre. Pas une lumière, pas une voiture : ni fiacre, ni omnibus ; aucun théâtre, aucun lieu de plaisir n’ouvrit ses portes ; aux mairies seulement parlèrent les orateurs populaires, réconfortant leur auditoire. Paris, fidèle aux prescriptions du Comité central de la garde nationale, avait donc bien fait le désert autour de ses vainqueurs. L’occupation ne dura que soixante-douze heures. Le 3 mars, les Prussiens se retiraient honteux et furieux d’avoir si ridiculement triomphé.

En ces quelques journées le Comité central avait conquis une autorité vraiment extraordinaire. En contraste à la désaffection du gouvernement, à son abandon, à son indifférence mauvaise, la grande ville l’avait jugé comme le seul interprète autorisé de ses sentiments, le gardien jaloux de son honneur, le préposé vigilant et ferme à sa sécurité matérielle. Mais en ces journées, il n’avait pas conquis seulement une autorité morale, il avait conquis aussi ou plus exactement reconquis ses canons, les canons de la garde nationale. Comment ? En enlevant, en sauvant les 400 bouches à feu oubliées par le gouvernement, par Vinoy au Ranelagh, au parc de la place Wagram, c’est-à-dire dans la zone que devait occuper le lendemain l’armée ennemie, ou à deux pas de cette zone, à portée de sa main. En une après-midi, le déménagement fut accompli de ces belles pièces coulées avec l’argent des souscriptions populaires, marquées sur la culasse au chiffre des bataillons, leur propriété légitime. Tout le monde s’y mit : hommes, femmes et enfants, chaque bataillon reprenant les siennes, les hissant à force de bras jusque sur les plateaux de Belleville et de Montmartre.

Il ne restait donc plus à la Fédération de la garde nationale qu’à s’organiser définitivement pour devenir maîtresse incontestée de la situation, arbitre des destinées de la ville. Ce fut l’œuvre à laquelle elle procéda sans plus tarder. Le 3 mars eut lieu une nouvelle réunion des délégués, celle-ci décisive, où à côté des représentants du Comité central siégeaient les représentants d’une autre organisation similaire, le Comité fédéral républicain, venus pour traiter d’une fusion complète. Les statuts furent votés, statuts de la « Fédération républicaine de la Garde nationale ». Ces statuts, disaient dans une déclaration préalable : « La République, étant le seul gouvernement de droit et de justice, ne peut être subordonnée au suffrage universel, qui est son œuvre. La garde nationale a le droit absolu de nommer tous ses chefs et de les révoquer dès qu’ils ont perdu la confiance de ceux qui les ont élus. » C’était l’affirmation essentielle que Varlin souligna par la résolution suivante d’application immédiate : « La garde nationale entend revendiquer le droit absolu de nommer tous ses chefs et de les révoquer dès qu’ils ont perdu la confiance de ceux qui les ont élus. Et pour affirmer par un acte cette revendication, l’Assemblée décide que