Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/380

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agitateurs prolétaires de l’Internationale ou autres. Ailleurs les travailleurs demeuraient plongés dans une passive inconscience. Ceci pour la France urbaine. Quant à la France rurale un monde de préjugés et de terreurs superstitieuses la séparait du socialisme. La mentalité paysanne n’avait guère variée depuis les temps où grâce à elle se refaisait l’Empire en 51 et 52 ; le travailleur des champs persistait à ne voir dans le travailleur des villes qu’un fainéant et un partageux qui voulait lui voler son bien et son épargne, lui ravir les fruits de sa terre, vivre et jouir à ses dépens. Il venait d’envoyer à l’Assemblée nationale quatre cents monarchistes contempteurs de toutes les idées modernes ; ce n’était pas pour adhérer deux mois après à la République démocratique et sociale. De plus une région entière, celle de l’Est et du Nord, se débattait encore sous le talon de l’étranger. La revue sera donc brève et nous reviendrons vite à Paris, car c’est là en somme que se déroula tout le drame. Il existait à l’époque une capitale socialiste ; il n’existait pas encore une France socialiste. Paris avait sur le restant de la nation une avance de vingt ans et plus.

Lyon s’ébranla dès l’abord : c’était la deuxième ville du pays, la seule, après Paris qui eut des traditions ouvrières et révolutionnaires. Ses canuts de la Croix-Rousse étaient les fils et petits-fils de ceux de 1832, les premiers insurgés de la misère. Dès le 21 mars, les officiers de la garde nationale réunis au nombre de deux cents, au Palais Saint-Pierre, avec les membres du Club central et assistés d’un délégué parisien, Albert Blanc, acclamaient la Commune et envoyaient au maire Hénon, une délégation qui lui tint ce langage : « Nous voulons la proclamation de la Commune, l’adhésion au mouvement parisien, le renvoi du préfet et de nouvelles élections générales ». Hénon, républicain de pacotille, se cabra. À 3 heures du soir, la délégation revenait appuyée par plusieurs bataillons de la Croix-Rousse et de la Guillotière, s’adressait au Conseil municipal en séance, et devant sa résistance le déclarait dissous. L’Hôtel de Ville était occupé, le docteur Crestin choisi comme maire, en place de Hénon, une Commune provisoire de onze membres constituée, le préfet Valentin arrêté et le drapeau rouge arboré. Le 22 et le 23, l’insurrection demeura maîtresse du terrain et tenta de s’organiser, mais l’élan populaire n’y était pas. La bourgeoisie, un instant déconcertée, se ressaisissait aux nouvelles et aux instructions parvenues de Versailles. Hénon, le maire révoqué, intriguait, protestant contre les violences dont lui et son Conseil avaient été l’objet ; la presse suivait. La garde nationale était partagée, hésitante. Le général Crouzat, commandant en chef des troupes régulières, se multipliait au contraire, souple et tenace, criant, selon la minute, « Vive la République ! » ou « Vive la Loi ! », brandissant le spectre de l’intervention prussienne, pour se donner le temps de concentrer les forces suffisantes en vue d’une action répressive. Le 24, il intervenait et se rendait maître, sans coup férir, de la situation. Les membres de la Commune lyonnaise abandonnés de tous, se réfugiaient en Suisse et les