Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/43

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’ont poussée au combat plus qu’ils ne l’y ont suivie, elle est sublime avec ses figures hâves, ses yeux brillants de fièvre, ses mains noires de poudre et ses vêtements en loques ; ses morts, ses blessés sont des héros, des martyrs. Si, par hasard, comme en Juin 1848, comme en Mars 1871, elle a combattu pour elle, si elle veut pour elle quelques-uns seulement des fruits de la victoire, alors on lui crie : haro ; elle n’est plus qu’une tourbe sans aveu, la « vile multitude » qu’il faut saigner à blanc pour la réduire et, plus que jamais, la river au servage.

Le nombre des accusés appelés devant les Cours d’assises fut relativement faible eu égard au nombre de ceux qui comparurent devant les Conseils de guerre ; ils étaient au nombre de 236, compris dans 41 affaires. Les juges se montrèrent, étant donné l’époque, la pression qu’on tenta d’exercer sur eux, beaucoup moins implacables que les juges militaires. Certains marquèrent même par leur verdict une évidente impartialité, parfois de la sympathie pour le caractère des accusés.

La Cour d’assises des Basses-Pyrénées eut à connaître des événements de Toulouse, une manifestation tumultueuse bien plus qu’une tentative de solidarisation sérieuse, effective au mouvement parisien. Il y avait là, cependant, un homme dont le passé sous l’Empire, l’attitude indépendante vis-à-vis du gouvernement de la Défense nationale, l’influence, la popularité, qui pouvait beaucoup ; il ne fit rien et le mouvement, sans direction, avorta. Il ne fit rien, c’est trop dire, car, dans une brochure par lui publiée, il n’hésita pas à déclarer que, durant les événements qui suivirent sa révocation et son remplacement par M. de Kératry, il n’avait été que le fidèle et loyal serviteur du gouvernement de Versailles. Après neuf jours de débats passionnés, la Cour d’assises l’acquitta, ainsi que ses co-accusés, à l’unanimité. Ils le méritaient bien. Duportal, néanmoins, racheta bientôt ce moment de faiblesse. Reprenant la direction du journal L’Émancipation, où il avait fait si vaillante campagne sous l’Empire, il prit ouvertement la défense des vaincus à qui, malgré procès sur procès, il ouvrit les colonnes du journal. Des proscrits tels que Razoua y purent répondre aux attaques furieuses, aux diffamations. Ce fut le signal du réveil dans le Sud-ouest.

À Rodez se jugea l’affaire de Narbonne dont Émile Digeon avait été le chef intrépide. Mouvement bref, mais énergique, tôt étouffé par des troupes envoyées de toutes parts ; des turcos y figuraient prêts à traiter les insurgés comme une vulgaire tribu à razzier et à massacrer. Devant le Conseil de guerre, des soldats qui n’avaient pas voulu tirer sur des Français comme ils avaient bravement tiré sur l’envahisseur étaient déférés au Conseil de Guerre qui en frappa de la déportation. Malgré l’attitude de Digeon qui, hautement, fièrement, sans détours, revendiqua toute la responsabilité du mouvement insurrectionnel, appelant sur sa tête le châtiment, s’il en devait être appliqué, le jury rendit un verdict négatif sur toutes les questions et Digeon fut mis en liberté parmi une enthousiasme extraordinaire. Rendu en plein centre «  provincial »,