Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/118

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de Moltke, qui a dirigé cette guerre, comment éluder ses conclusions ? Il a dit :


Je suis convaincu que grâce au perfectionnement des armes à feu, la tactique défensive a un grand avantage sur l’offensive. Il est vrai qu’en 1870 nous avons enlevé et attaqué les positions les plus fortes, mais au prix de quels sacrifices ! Si, après avoir repoussé plusieurs attaques de l’ennemi, on passe à l’offensive, ce procédé me semble préférable.


Il y a, certes, une grande force d’esprit pour un chef d’armées qui a remporté d’aussi prodigieux succès que de Moltke selon une méthode déterminée, à proclamer que cette méthode n’est pas, en soi, la meilleure et qu’il est survenu dans la technique des changements qui obligent à en préférer une autre. C’est un bel exemple de liberté intellectuelle et de maîtrise de soi jusque dans le plus enivrant triomphe. C’est un effet de cette jeunesse d’esprit que prolonge le perpétuel effort de l’étude, qui affranchit l’homme de la tyrannie des formules mêmes où il excella. On pourrait croire que l’état-major allemand se rallie à ces vues, puisqu’il ajoute, après avoir cité ces paroles : « Qui ne serait de l’avis de de Moltke ? » Pourtant ce n’est qu’une apparence. D’abord qu’on y prenne bien garde. Il ne s’agit pas, dans les paroles de de Moltke, de l’ensemble des opérations, de la marche générale de la guerre, mais d’une bataille déterminée. De Moltke se rappelait les terribles pertes subies par l’armée allemande dans l’assaut des hauteurs de Spickeren, des lignes retranchées de Saint-Privat. Un moment, à Saint-Privat, il avait cru la bataille perdue ; seule la mollesse de Bazaine, mollesse d’incapacité ou de trahison, avait sauvé l’armée allemande d’un grave échec. Et le feld-maréchal se représentait sans doute ce qu’auraient été ces batailles si l’armée française avait eu la cohésion, la puissance d’organisation et de manœuvre qu’avait alors l’armée allemande et si elle avait pu en outre, des hauteurs de Spickeren, des lignes de Saint-Privat, foudroyer l’assaillant à découvert avec toutes les ressources