Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/120

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Ce que l’état-major de Berlin apprécie surtout dans Clausewitz, ce n’est pas sa théorie sur la valeur de la défensive, mais son esprit profond et méditatif. Ce sont ses paroles qui se lisent comme des révélations et qui élèvent les cœurs ; c’est le but qu’il assigne à leurs opérations, la destruction de l’ennemi. C’est la soif ardente qu’il donne de la victoire et l’influence prépondérante qu’il attribue aux forces morales.

Qu’importe donc que de Moltke lui-même ait pu, quand il imaginait la combinaison idéale, parler d’une bataille qui serait défensive d’abord, offensive ensuite ? Son grand esprit méthodique savait sacrifier et subordonner le détail à l’ensemble. Or, l’ensemble, c’est la grande marche offensive de toute une armée cherchant à accabler l’ennemi. Voilà donc toute velléité de défensive et même tout mélange de défensive écarté de la pensée allemande. Ce sera l’offensive absolue. Ce sera l’invasion, mais non pas pour occuper le territoire, non pas pour obliger l’adversaire par la gêne infligée à sa vie économique et sociale à une molle et incertaine capitulation. Ce sera l’invasion marchant tout droit à la principale force ennemie pour la détruire en l’enveloppant. Si l’adversaire cherche à se dérober, à traîner les événements en longueur, il faudra le chercher, le presser de telle sorte qu’il soit bien obligé d’accepter le corps à corps. Pour cela, il faudra avoir d’emblée une grande masse d’hommes capable de produire de vastes effets et il faudra que cette masse, tout en gardant une suffisante unité, une suffisante communication de toutes ses parties pour pouvoir produire à volonté un effet total, soit cependant assez articulée et mobile pour se prêter aux évolutions rapides qui détermineront le contact nécessaire avec l’ennemi.

Un but très précis et pas de plan rigide ! Chercher l’adversaire, l’atteindre à tout prix et tenter un mouvement d’enveloppement. L’aborder de front et l’obliger à la retraite ne suffirait pas, si on ne lui infligeait pas des pertes cruelles. L’armée ainsi refoulée subsiste encore ; sa force