Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/123

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forces déjà accumulées en Alsace-Lorraine, et rapidement grossies, qu’ils brusqueront l’offensive. Par la forme même de la frontière, qui est en équerre, ils se sont ménagés des combinaisons multiples. Toul, Nancy, Epinal sont pris dans l’angle de l’équerre, dans ce que le commandant Rosse appelle, comme nous le verrons, « les mâchoires de l’étau ». C’est pour se ménager ce jeu multiple que de Moltke avait insisté pour avoir Metz. La disposition de la nouvelle frontière est telle que les Allemands peuvent1 aisément masser leurs forces pour un effet écrasant, et qu’ils peuvent déboucher, à la fois, sur la frontière et sur les flancs de l’adversaire. C’est, semble-t-il, l’idéal de l’offensive.

L’Allemagne sait donc ce qu’elle veut. Elle le sait à fond. La France le sait-elle ? Avec une grande vigueur d’accent, le commandant Rossel affirme que non. Il définit d’abord ce que doit être, ce que serait, au point de vue socialiste et vraiment national, la défense de la France.

Stratégiquement nous répondrons à l’offensive brutale et passive de l’adversaire par la défensive organisée scientifiquement et par la manœuvre poussée jusqu’à l’extrême limite du sacrifice et de l’audace. Devancés par l’invasion (et ceci serait fatal), nous défendrions sans doute pied à pied le territoire national par la concentration rapide de tous les éléments guerriers des régions envahies ou plus immédiatement menacées. Mais pour donner à la nation une sécurité trompeuse et passagère, nous ne commettrons pas la folie « de nous jeter dans la gueule du loup ». Dût notre amour-propre national en souffrir, dût une partie de la France être envahie, nous ne lancerons dans un formidable assaut d’offensive générale sans retour, dans une contre-attaque définitive, les masses organisées des millions de citoyens armés que lorsque ces masses, représentant tout le pays vivant et travaillant, auront été amenées à pied d’œuvre simultanément, et que déjà les masses ennemies, affaiblies par des déploiements successifs, par la désillusion du coup manqué, par l’éloignement toujours plus grand du point de départ, par le prolongement indéfini de la guerre, enfin, par les indécisions mêmes de leur commandement, auront senti diminuer leur puissance offensive et leur force de cohésion. La conception stratégique qui répond à la guerre de défense nationale c’est, d’une part, la concentration des armées