Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/124

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

à l’abri de tout danger, c’est, d’autre part, l’offensive générale au moment et à l’endroit judicieux.

Tel est le seul plan de campagne à la fois défensif et offensif d’un pays qui veut la paix, mais qui fait la guerre et qui puise précisément sa puissance guerrière dans sa volonté de paix.

Après avoir ainsi marqué à grands traits sa pensée propre et ce qui lui apparaît, pour la France du xxe siècle, menacée par l’offensive allemande, comme la stratégie vraiment nationale, le commandant Rossel demande compte de leurs conceptions aux dirigeants officiels de la France et de l’armée. Il les presse de questions redoutables :

Au point de vue stratégique l’armée actuelle, telle que l’ont fabriquée les partis bourgeois, est-elle apte à l’offensive ? Non ; le haut commandement n’y songe même pas. L’armée allemande de première ligne serait prête deux jours, trois peut-être, avant nous ; et même, les contingents de l’Allemagne du sud seraient aux pieds des Vosges dès le septième ou huitième jour de la mobilisation.

Mais alors ! à la défensive ? Pas davantage. Aucun chef, en France, n’a encore osé regarder la défensive en face et l’organiser d’avance. Aucun ministre n’a songé à braver, puis à former l’opinion. On accumulera des millions d’hommes le plus près possible de la frontière, derrière les hauts de Meuse, entre les mâchoires de l’étau. Mais si les hauts de Meuse sont enlevés ou tournés par une armée formidable prête avant la nôtre ; si la Belgique est envahie — comme c’est probable et rationnel ; — si la confusion est jetée dans notre concentration, quelle déroute ! La défaite avant la bataille !

Ces questions, c’est la France même qui doit les poser à l’état-major ; elle en a le droit ; elle en a le devoir. Il faut qu’elle sache s’il y a une méthode de guerre et laquelle ; comment il veut la protéger contre la redoutable offensive que prépare l’ennemi. Il ne s’agit pas là de plans secrets ; et ce n’est pas dans le sanctuaire de la rue Saint-Dominique que doivent être résolus ces grands problèmes. La technique, la science militaire ont pour objet de mettre en œuvre la méthode adoptée ; mais cette méthode, c’est la nation qui doit la déterminer elle-même en conformité avec