Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/126

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

françaises soit portée le plus près possible de la frontière. Comment donc la nation pourrait-elle rester étrangère au choix d’une méthode qui n’a quelque chance de succès que si toutes les institutions et toute l’action militaire y sont conformées et subordonnées.

De même la défensive hardiment et largement entendue veut être préparée bien avant la guerre. Ici, l’effet de masse, de patience héroïque, de concentration totale et d’élan réfléchi se substitue à l’effet de surprise, à la concentration partielle et aventureuse ; c’est toute la nation qui doit être amenée « à pied d’œuvre ». Et la distinction funeste de la réserve et de l’active s’évanouit. Il faut que toute la nation soit avertie du sacrifice que tout d’abord lui demandera cette méthode souveraine. Pas de bravade, pas de fanfaronnade. C’est en arrière des coups de l’ennemi et de toutes les surprises possibles que se fera la concentration colossale des millions de soldats citoyens. Il se peut que dans la première période, d’ailleurs vaillante et combattante, la nation cède provisoirement une partie de son territoire. Ses forces de première ligne, formées par les régions les plus voisines de l’ennemi, ou même par des forces de couverture empruntées au pays tout entier, ne seront qu’une avant-garde qui aura ordre de se replier le plus lentement possible, en disputant le terrain, et de ne pas s’engager à fond. Des énergies nationales se ramasseront pour un effort énorme ; mais il faut que le pays n’ait pas de panique. Il faut que son esprit et son âme soient préparés à l’audace de cette manœuvre de pseudo-retraite préparant l’irrésistible offensive. De même qu’on prépare maintenant la nation, trop faiblement, à ne pas s’effarer si Nancy est tout d’abord occupé par l’offensive ennemie, il faut qu’on élève l’intelligence et la conscience de la nation à attendre, avec une résolution calme, l’heure de la véritable offensive nationale, nécessairement précédée d’une période de repliement. Il convient que Rome s’habitue à comprendre Fabius et qu’elle lui laisse le temps de devenir Scipion. Ce n’est pas seulement l’éducation de la nation