Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/127

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qui doit être appropriée à ce dessein, c’est tout un plan nouveau de concentration qui doit être étudié ; c’est toute une série de plans de campagne nouveaux qui doivent être élaborés. Et comment tout cela serait-il possible si la nation n’est pas appelée à délibérer sur la méthode de combat et de salut qui convient le mieux ? Comment cela sera-t-il possible si les états-majors décident pour elle et sans elle, dans une sorte de mystère stérile, dans une nuée d’où l’éclair ne jaillit pas ? Car l’éclair ne peut jaillir que des volontés mêmes de la nation. Que cette nuit se dissipe donc et que la France soit mise en face du problème. Mais le pire serait, le désastre des désastres, que l’état-major n’ait pas su lui-même prendre parti, qu’il ait flotté et qu’il flotte encore entre des idées contradictoires. Or, j’ai la conviction absolue qu’entre l’offensive vraie et la défensive vraie il n’a pas fait un choix, qu’il a accepté et pour la mobilisation et pour la concentration et pour la conduite générale de la guerre, des combinaisons hybrides, des combinaisons à deux fins, pouvant s’adapter tant bien que mal, selon les événements, à la stratégie défensive et vouées, par cette ambiguïté même, à un misérable avortement. Même si je ne le savais pas, même si je ne savais pas avec certitude que l’état-major commence à s’épouvanter lui-même des contradictions et du flottement de son œuvre, je le déduirais de tous les faits publiés et observables.

D’une part, en effet, il est impossible que l’état-major français ne soit pas frappé des difficultés et des périls que tout essai d’offensive aurait pour la France. Dans le premier choc, dans la première rencontre des forces accumulées a la frontière, l’Allemagne aurait un avantage marqué. Au jeu de l’offensive elle a infiniment plus de chances que nous. Le pouvoir qui la dirige et qui est, à bien des égards, irresponsable, peut être à certaines heures animé d’une volonté agressive que la démocratie républicaine française, assagie par de dures épreuves, n’aura jamais au même degré, même si elle cédait peu à peu à des suggestions funestes et si elle perdait le sens clair du haut