Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/128

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idéal de paix qui est désormais son honneur, sa force et sa vie. L’état-major allemand pourra donc avoir l’initiative militaire de l’agression, comme le Gouvernement allemand, dégagé en ces matières du contrôle du Parlement, pourra en avoir l’initiative politique. Une avance de quelques jours lui est assurée par là ; de plus, avec sa population supérieure d’un tiers à la nôtre, l’Allemagne peut avoir sur le pied de paix des effectifs qui dépassent ceux de la France. Si tout son effort, depuis quelques années, tend à constituer une armée de première ligne au moins égale à la nôtre sans recourir aux réserves, ce n’est pas seulement, comme le dit l’état-major, pour n’envoyer à l’épreuve des premières batailles que des hommes jeunes dégagés de tout lien de famille et comme allégés de tout fardeau social, c’est aussi pour pouvoir mobiliser et concentrer l’arméd dans les délais les plus courts, sans attendre même le premier ban des réserves. Nos chefs savent bien, quelle que soit leur préférence pour l’armée de caserne, que s’ils n’attendaient pas l’incorporation au moins des plus jeunes classes des réserves, ils ne pourraient opposer à l’ennemi qu’un squelette d’armée. Enfin, la forme enveloppante de la frontière allemande assure à l’armée allemande de premier choc, pour les manœuvres initiales, des facilités marquées. Même si, par un coup d’aventure et de surprise, une extrême avant-garde française réussissait à se jeter en avant, elle se heurterait à la Sarre, puis au formidable obstacle du Rhin, et elle payerait cher sans doute le trouble d’un moment qu’elle aurait porté dans la concentration allemande. L’expérience de 1870 démontre d’ailleurs que l’état-major allemand est tout préparé à reculer sa ligne de concentration quand il la croit menacée par un projet d’attaque.

Les chances de succès d’une offensive française sont donc infimes ; ce serait le coup de partie d’un joueur aux abois ; ce ne serait pas l’entreprise d’une nation ayant vraiment confiance en elle-même. Cette offensive, l’état-major français ne peut donc, à moins d’être atteint d’une