Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/129

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sorte d’aliénation, la considérer que comme l’hypothèse la plus risquée, la plus dangereuse. Et pourtant, il n’a pas le courage d’y renoncer nettement et décidément. Et comment l’aurait-il, quand tout notre enseignement militaire, depuis vingt années, est comme vibrant des beautés de l’offensive ? Aussi, nos écrivains et techniciens militaires n’ont-ils pas abandonné toute idée d’une offensive ou d’une contre-offensive immédiate qui, par Toul ou le sud de Toul, irait vers Sarreguemines et tenterait de rejeter l’ennemi vers Metz et les régions difficiles de l’Eifel. Ils vont répétant que « nous ne saurions songer à régler uniquement nos mouvements sur ceux des Allemands dont il sera sans doute difficile de démêler les véritables intentions », et ils reproduisent, en lui donnant l’interprétation la plus arbitraire d’ailleurs et la plus périlleuse, la formule de Clausewitz :

Celui qui se propose un but positif se donne plus de facilités pour amener des forces supérieures sur le point décisif.

Ils répètent qu’il ne faut pas « subir la loi de l’adversaire », s’attacher passivement à lui. Ils laissent entendre que le vice de la défensive est dans cette passivité, qu’elle se lasse à suivre le mouvement de l’adversaire, comme l’ombre suit le corps, et à mouler en creux l’action en relief de l’assaillant. Et c’est eux pourtant qui, en se croyant obligés de répondre à la brusque offensive allemande par une offensive de même ordre, se font les imitateurs et les esclaves de l’adversaire ; c’est en recourant à une méthode tout autre, c’est en mettant dans la défensive la même logique que les Allemands mettent dans l’offensive, que la France libérera d’eux sa stratégie et restituera à sa propre armée l’autonomie de la pensée, la liberté de mouvement, la force et l’audace de la volonté propre.

Du capitaine Gilbert au général Langlois, tous les critiques militaires en faveur de notre armée et qui inspirent l’enseignement de nos hautes écoles, conseillent