Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/131

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concentration fébrile, aventurée et nécessairement partielle qui livrera la France a tous les hasards, Par cette méthode incohérente et ambiguë, qui ne peut pas procéder à une offensive résolue, mais qui ne sait pas, qui n ose pas renoncer à la fiction de l’offensive, l’armée française sera conduite an traquenard tendu par l’Allemagne, traquenard mobile et dont elle fera violemment jouer le ressort.

Cette incohérence fondamentale de la pensée militaire française, c’est dans l’œuvre du capitaine Gilbert qu’il est le plus utile de la saisir ; d’abord parce qu’il est depuis une vingtaine d’années l’inspirateur, le maître reconnu ; et ensuite parce que la netteté même de son esprit donne à ses contradictions tout leur relief. On pourrait croire, à lire quelques-unes de ses pages, qu’il a saisi la loi même de la défense nationale, et qu’il a entrevu, à des lueurs incertaines et fuyantes, ce que devaient être l’organisation et l’action militaire de la France. Il reconnaît nettement qu’il vaut mieux céder d’abord du terrain que de se risquer à une offensive prématurée, et il demande avait tout que la France n’engage les opérations décisives qu’avec toutes ses forces. Il dit :

Pour les grandes actions qui suivront de près le premier déploiement, il faut partir avec tous ses moyens, et seulement quand on est disposé, sauf à retarder jusqu’à ce moment l’action décisive en prenant du champ en arrière et en se formant à la plus grande distance de l’adversaire.

Cette loi est la condamnation des armées de réserve :

Il n’est pas d’exemple d’armée battue qui, le jour suivant, ait été ramenée à la victoire par de fortes réserves. En 1870, si les armées de Wœrth, Metz et Sedan, au lieu de se présenter successivement au choc des forces ennemies, avaient été formées côte à côte et plus en arrière, sur la haute Moselle, par exemple, leur action simultanée eût pu modifier la face des événements.

Il précise avec force :

En toute occasion, il faut nous inspirer de cette pensée saine de Clausewitz, que le territoire n’est rien ou est peu de chose ;