Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/133

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active ; on veut des millions d’hommes et on rêve de les porter ensemble au même choc initial, de les employer sans souci de leur solidité différente, côte à côte et aux mêmes opérations de rase campagne. Cette guerre de masses (Massen heere) déjà entrevue par von der Goltz, nous ramènera promptement aux armées de Xerxès, et nous ne craignons pas d’affirmer que le succès demeurera à la nation qui aura su se tenir en garde contre ce dangereux entraînement, faire au nombre et aux aptitudes leur part équitable.

Nous sommes certes les premiers à applaudir à la mesure qui porterait à la frontière, dès la première heure, les plus jeunes classes de la territoriale. C’est en application de la loi de l’union des forces dans l’espace et le temps. Il faut mettre dès le début en jeu toutes les forces vives de la nation, s’engager avec toutes les ressources disponibles, mais il faut aussi appliquer ces ressources a leur véritable objet. Or, sans même parler des corps d’armée bis, le véritable objet de divisions de landwehr ne nous semble pas être de doubler les divisions actives. Formée avec les landwehriens des plus jeunes classes, la division de réserve est une unité improvisée qui prend naissance à la dernière heure. Ses cadres subalternes, ses troupes et ses états-majors ne se connaissent point. Elle ne possède pas, comme les divisions actives, un noyau permanent. Abstraction faite de l’âge des hommes et du temps qu’ils ont passé sous les drapeaux, la division de marche sera donc, pour maintes raisons, moins solide que la division de l’armée permanente, ces dernières dussent-elles augmenter d’un tiers le nombre de leurs bataillons. Accoler des divisions actives et une division de landwehr reviendrait à constituer le corps d’armée d’éléments hétérogènes incapables des mêmes efforts.

Quelle place assigner à la division territoriale dans la colonne en marche ? Quel rôle dans le corps d’armée au combat ? La mettra-t-on en tête et donnera-t-on à ces soldats, qui hier encore formaient le deuxième ban, la mission sanglante d’engager la bataille ? La tiendra-t-on à la queue comme réserve et faudra-t-il compter sur elle pour porter le coup décisif après deux ou trois jours de luttes, quand les meilleures troupes seront épuisées, quand le champ de bataille offrira un aspect propre à faire réfléchir les plus braves ? Sa place, répétons-le, pas plus en marche qu’au combat, n’est à côté des divisions de première ligne. Et cependant ces divisions territoriales, qui n’ont rien à faire sur le champ de bataille des troupes actives, ont une mission considérable à remplir sur leur théâtre d’opération.

Cette mission spéciale, qui évite l’amalgame, nous la concevons d’après les aptitudes spéciales de. ces troupes qui sont propres à là défensive, non à la guerre de mouvements, d’après l’expérience